« Jeunesse ET Sports » : libérer la mission éducative !

Il y a plus de 10 ans ce logo affirmé une identité, une mission, une politique spécifique… Il fut donc supprimé !

Le département ministériel de la Jeunesse et des Sports est malmené par un faisceau de facteurs qui altère le sens de ses missions, organise une série de confusions gravissimes dans des directions départementales et régionales de melting-pot. La césure ministérielle entre le « sport » et la « jeunesse » révèle une vision politique dégradée par une approche désincarnée de l’éducation populaire, des politiques de « jeunesse » qui se confondent en instruments de réparation et de communication, une conception du sport en tant qu’objet oscillant entre le spectacle, le marché et des discours convenus sur la santé et l’intégration. Depuis l’avènement du concept lénifiant dit de « cohésion sociale » c’est toute la dimension éducative des activités physiques et sportives, toutes les vertus émancipatrices de l’éducation populaire qui sont laminées dans une confusion interministérielle délibérée où la reproduction de pensée formatée construit la technocratie de carrière et détruit l’emploi public de proximité.

 

  • la perte de sens éducatif, ses conséquences sur le travail réel

Historiquement la Direction des Sports et celle de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et de la Vie Associative ont leurs origines dans le Ministère de l’Éducation Nationale. Cette provenance commune explique très largement l’originalité du département ministériel « Jeunesse et Sports » qui a inscrit son action publique dans des formes d’éducation non formelle qui prolongent l’engagement républicain de dispenser à chaque jeune résidant sur son territoire, quelle que soit sa nationalité, l’accès à la scolarité. Cet engagement dans l’éducation permanente a justifié pendant des décennies des parts de franchises éducatives pour les personnels à l’interface des dynamiques associatives (garantie démocratique de la loi 1901) et de l’évolution du cadre de L’État de droit. Cette proximité des personnels « Jeunesse et Sports » avec les territoires et les populations, avec les mouvements du sport et de l’éducation populaire, a nécessité des formes d’organisation du travail innovantes, inscrites dans la durée, fondées sur des compétences techniques et des statuts assimilés aux corps enseignants. Elles infèrent une large autonomie dans l’organisation du travail. La révision générale des politiques publiques (RGPP), prolongée par la modernisation de l’action publique (MAP), vient remettre en cause la dimension éducative des missions des personnels, contraindre l’organisation du travail dans des formes administratives classiques inadaptées aux métiers.

  • le repli doctrinaire régalien

Initialement dévolues aux personnels d’inspection, la mission de protection des usagers, les vérifications et certifications des normes sont désormais transférées sur les personnels pédagogiques (conseillers d’éducation populaire et de jeunesse et conseillers d’animation sportive). Le repli de l’État (hors éducation nationale) sur des missions régaliennes frappe tous les ministères structurés autour des autorités préfectorales. La culture de métiers construite à partir de l’éducation est considérée obsolète. Il n’est plus question d’être dans la formation mais dans la certification ou l’habilitation. Le discours de l’encadrement cale ses éléments de langage pour faire disparaître de la formation initiale et des pratiques, toute déontologie liée à l’éducation. La mobilité interministérielle vient parachever une logique d’interchangeabilité : un chef de service de pôle « Jeunesse et Sports » en DR ou DD, souvent de passage dans une trajectoire de carrière, peut être originaire de la santé, de la répression des fraudes, de l’intérieur, des services vétérinaires sans connaissance des réseaux du sport et de l’animation, hors considération des « métiers » et statuts.

  • la récession de l’emploi et la confusion statutaire

La RGPP et la MAP sont des outils qui structurent les pouvoirs publics et leurs politiques. Ces outils ne sont pas neutres. Ils servent les politiques idéologiques et comptables dites de lutte contre les déficits publics. Ils organisent la fonte de la masse salariale et les externalisations consécutives à la réduction des moyens de l’État, mais aussi des collectivités. Les modes de gestion issus de la LOLF gomment l’identification des postes budgétaires désormais dilués dans des programmes. La déconcentration confère aux responsables de BOP des pouvoirs quasi discrétionnaires pour transformer ou supprimer des postes budgétaires en ignorant les statuts et origines ministérielles. La publication des emplois sur la Bourse interministérielle s’avère être une machine de destruction aux conséquences multiples, en particulier sur l’exercice du paritarisme et le respect des droits de mutation. L’opacité et la séparation des bureaux de la DRH placée auprès du secrétariat général des ministères des affaires sociales (SG MAS) s’avèrent mortifères pour les personnels techniques et pédagogiques « Jeunesse et Sports ». Face à cette organisation les directions dites de métiers (Direction des Sports et DJEPVA) non seulement n’interviennent pas mais, par leur silence ou leur acceptation des règles de gestion imposées, se rendent complices des destructions opérées, dans un double langage étudié qui élude toute lecture attentive des conséquences sur le travail réel.

  • les transferts de compétences larvés ou induits

Les syndicats représentatifs des personnels techniques et pédagogiques « Jeunesse ET Sports » ont agi pour faire en sorte que l’éducation populaire et le sport deviennent des compétences partagées (comme la culture et le tourisme) entre l’État et l’ensemble des collectivités territoriales. Cette compétence partagée ne définit pas le « chef de file » des politiques mais permet au moins à tous les niveaux publics de soutenir les activités. Dans le domaine « jeunesse » une impulsion est donnée pour que les régions deviennent pilotes face à un ministère en perte de présence. Mais dans le sport le danger est également présent. Si les 1 600 conseillers techniques sportifs (CTS) placés auprès du mouvement sont préservés pour l’heure des destructions d’emplois, ce sont les conseillers d’animation sportive (CAS), moins de 800 désormais, qui payent la note des suppressions de postes. La pratique généralisée de la « mise en agence », préfigurée au MJS par un service à compétence nationale (CGO-CTS) gérant les CTS ayant une mission nationale, ne met pas à l’abri d’un démantèlement préparant l’externalisation. Le discours de la Direction des Sports se veut rassurant mais n’engage que celles et ceux qui veulent y croire. Un autre signal montre à quel point les APS et les politiques associatives sont vouées à un désengagement du soutien de l’État si le MJS demeure dans le marasme administratif qui le caractérise ces dernières années : la mise en concurrence généralisée des associations via des appels d’offres. S’il n’y a pas reconnaissance forte des missions de service public, ces différents acteurs sont contraints aux règles des appels d’offres des marchés privés et publics. Sortir le sport éducatif et l’éducation populaire de la concurrence passe par la reconnaissance d’une mission permanente au sein d’un service public de l’éducation.

  • la mise sous tutelle mortifère auprès du SG MAS

Depuis la RGPP l’État a structuré son organisation en définissant de grands pôles ministériels dotés de « secrétariats généraux ». Ces secrétaires généraux ont chacun auprès d’eux une DRH commune aux ministères dont ils ont la gestion. Cette structuration donne une forme de continuité à l’action publique via une technocratie d’appareil qui voit se succéder les ministres au gré des changements et des périmètres ministériels de gouvernement. Jeunesse et Sports a été rattaché – au nom d’une conception ministérielle subsidiaire – aux ministères sociaux qui sont eux-mêmes en délitement prononcé. Le Travail, mal en point, perd des emplois, est exposé aux démantèlements ; la Santé est en agences régionales et les Affaires Sociales en dégraissement d’emplois. Le MJS en 2018 devrait avoir perdu en 10 ans plus de la moitié de ses effectifs. Un projet dans les cartons du gouvernement évoque sans mystère une nouvelle phase de restructuration des secrétariats généraux. Le SG MAS n’y résistera pas, y rester c’est disparaître noyé dans les procédures de gestion d’une fonction publique d’État racornie sur le régalien. Tout le dispositif interministériel des DDCS/PP et DR(D)JSCS a été pensé de manière cohérente en phases programmées de destruction de métiers et emplois. Le passage de « la jeunesse » à l’éducation nationale ne préserve en rien d’une disparition si la gestion RH est laissée au SG MAS. Pire, la césure entre la « jeunesse » et le « sport » accentue le déficit de masse critique du Ministère des Sports qui tient sur une médiatisation fragile liée aux Jeux Olympiques et « Paris 2024 ».

Quitter les ministères sociaux ne signifie pas disparaître dans l’Éducation Nationale !

Quitter la DRH des ministères sociaux pour refonder un ministère « Jeunesse ET Sports » n’est ni impossible, ni passéiste. C’est au contraire une question d’ambition et de volonté politique. Dans une société en mutation accélérée, qui a besoin d’une éducation prolongée tout au long de la vie pour comprendre et surmonter les défis climatiques, culturels, économiques et sociaux, un tel ministère a, toute sa pertinence. Un ministère de plein exercice « Jeunesse et Sports » a toute sa place avec la Culture et d’autres ministères liés à l’Éducation dans un grand pôle interministériel éducatif confié à une DRH commune. Retrouver le sens des origines n’est ni incohérent, ni suranné. C’est au contraire un témoignage d’intelligence collective s’appliquant à travailler ce qui fait société. Cela suppose il est vrai d’avoir un projet politique humaniste sachant ne pas céder aux sirènes de l’austérité ou aux mises en marchés qui dénaturent une trop large part des mouvements associatifs et de l’économie dite sociale et solidaire.

MOTION de politique générale du Congrès d’EPA du THOLY (88), le 29/06/2017