Déclaration Liminaire de la FSU à l’occasion du CTM JS du 16 avril

En propos liminaire de ce comité technique ministériel je voudrais, au nom de la FSU du secteur jeunesse et sports, évoquer la conception dominante du dialogue social et de la gestion des ressources humaines dans ce ministère en voie d’assimilation donc de disparition programmée.

Nous allons, à la défaveur de l’ordre du jour qui nous est présenté, échanger tout à l’heure sur le RIFSEEP qui va installer un principe de régime indemnitaire destiné à individualiser les rémunérations et à servir une conception réactionnaire du mérite. Réactionnaire oui, au sens profond du terme : qui nous renvoie en arrière. Car ce RIFSEEP est à l’ex-PFR ce que la MAP est à la RGPP : un clone voulu par une vision productiviste du travail, de son organisation obsessionnelle basée sur le mérite décrété par les petits ou grands chefs, de la mise en compétition des femmes et des hommes héritée d’un modèle aliénant et aliéné de l’entreprise.

La période politique et sociale 2007-2012, faite d’histrions communicants du sol au plafond de l’Etat, nous avait déjà imposé le prêt à penser des oxymores néo-libéraux et du ballet de technocrates payés pour bien servir. On aurait pu croire que le changement de régime 2012-2017 corrigerait le cap. Il n’en est rien. Avec une constante qui provoque un désarroi certain, les mêmes recettes, les mêmes schémas sont à l’œuvre, avec seulement ici ou là un jeu de chaises musicales où les énarques et les promus des grandes écoles se remplacent avec bon aloi. Car si les écuries politiciennes sont différentes, le moule à gaufre du formatage de la pensée néo-libérale est lui le même.

L’individualisation de la gestion est une plaie héritée d’une mauvaise conception de la compétition. Le malaise au travail est réel et profond. La souffrance n’est pas feinte et s’il se trouve ici quelqu’un qui croit que c’est une rengaine convenue servie par des syndicalistes pyromanes tant pis pour sa conscience. Plusieurs syndicalistes de la FSU se sont suicidés ou ont tenté de le faire ces toutes dernières années, au sein même des ministères dits sociaux, car le syndrome de la perte de sens n’est pas l’apanage de France Télécom ou de Pôle Emploi. Or, les principes de gestion faussement modernes qui se reproduisent ne modifient en rien la conception désastreuse d’un travail qui accumule des règles tout en provoquant du stress et au final de l’anomie. C’est parfaitement contraire à l’esprit qui a prévalu à la mise en place de la fonction publique. Certes, on peut et on doit moderniser la fonction publique, mais sans la dénaturer, avec des principes de gestion qui devraient placer l’enjeu du plaisir au travail et de sa qualité comme un axiome à rechercher. Au lieu de cela, c’est la politique du chiffre qui perdure, une organisation pernicieuse du CNDS, les objectifs obsédés d’un service civique qu’il faut aussi pouvoir interroger même s’il est porté par la présidence de la République elle-même ! Car la mise en musique voulue par les préfets et ministres suppose aussi de vérifier la qualité d’accueil et d’affectation des jeunes, la possibilité même d’ouvrir des profils nouveaux et adaptés. Mais partout c’est la culture du résultat qui supplante celle du service public. La fonction publique de carrière qui existe en France ne s’oppose pas à l’efficience mais elle n’obéit pas aux mêmes ressorts de management que l’entreprise. C’est bien là que le bât blesse car le jeune loup de la haute administration rêve au fil des lois de Macrons enchantés, par lesquels leurs fiers bureaux seraient bordés, où les contrats de travail et le dialogue social seraient revisités.

Sans ambigüité le syndicat que je représente a pris position en faveur d’un changement de cap en 2012. Il avait bien noté que le discours du Bourget n’était qu’un épisode de campagne mais d’autres chantiers étaient avancés sur l’ambition éducative. Les rythmes éducatifs étaient l’un deux. Trois ans après, nous mesurons plus que notre déception, car c’est encore et toujours notre désarroi, partagé au demeurant par une large part de la population modeste qui, dramatiquement cède à l’amalgame catastrophique du « tous pourris ».

Ce parallélisme de forme entre une administration qui administre de manière descendante et une GRH qui individualise aboutit, par perte de repères professionnels, à faire que les collègues d’un même corps ne font plus le même métier. Il n’y a plus de régulation induite par la profession car la déontologie s’évanouit derrière l’évaluation par le seul encadrement intermédiaire à partir de critères précis qui d’ailleurs ne sont pas toujours adaptés aux professeurs de sport ou aux CEPJ. Au-delà du bon mot consistant à dire que la lutte des places a remplacé la lutte des classes – ce qui réjouira la pensée dominante aux manettes du monde – on vérifie aussi que l’évaluation définie est profondément rétrograde alors qu’elle devrait rechercher une dimension socialisatrice du travail.

Notre conflit avec la DRH des ministères sociaux, et bien entendu avec le secrétariat général dont elle est issue, instauré par la réforme de l’Etat, est au cœur de cette tension. Les collectifs de métier « jeunesse et sports » ont eu besoin de temps et de constance pour se construire. Ils ont supposé des échanges et ajustements entre pairs aujourd’hui rejetés par les logiques de gestion individualisante reposant sur une conception du mérite réactionnaire. N’en déplaise à des syndicalistes siégeant en CAP, plus férus de petite polémique instillant la suspicion sur la parole de la FSU plutôt que de vouloir la comprendre, je viens affirmer ici que la notion de mérite est trop sérieuse pour la laisser à la seule administration et à ses déclinaisons par étages. Face au mérite individuel décrété par l’employeur et ses représentants plus ou moins qualifiés, il existe un autre regard qui s’exerce naturellement comme la prose de monsieur Jourdain : celui des pairs. Le regard des pairs, qui connaissent les différentes facettes d’un métier, se porte d’évidence et il englobe une autre approche que celle du mérite individuel : celle du travail bien fait qui ne se réduit pas à une culture du chiffre ou des mesures abstraites. Il ne s’agit pas d’un ordre professionnel mais d’un partage de savoir-faire.

Aussi, quand DRH-SD2 vient nous dire qu’il faut remettre en cause les barèmes pour aller puiser dans les listes afin de promouvoir les collègues les plus méritants signalés par les chefs de service, on voit bien quelle logique est servie : celle des étagères de direction. Je le dis avec gravité et sans plaisir. Je n’ai jamais vécu une période si noire que depuis la RGPP prolongée par la MAP. Le dialogue social y est devenu artificiel et résumé à de l’entregent de couloir qui ne mérite même pas d’être appelé du lobbying. Le syndicalisme se fracture en représentations qui s’opposent de plus en plus frontalement. Les CAP sont devenues des lieux où on constate les choix portés par la DRH ou la DJEPVA ou la direction des sports, c’est selon. Mais désormais, et en sport c’est patent, on vérifie aussi les oukases ministériels ou peut-être présidentiels qui imposent leur propre conception du mérite. Le résultat est catastrophique. Lundi dernier, la CAP des CTPS a été un révélateur exécrable de ce que devient le dialogue social. Même la droite n’avait pas osé de telles pratiques d’imposition avec une championne du monde de cyclisme de multiples fois couronnée. Même de célèbres et méritants entraîneurs nationaux de handball ou du basket ont attendu deux ou trois ans une promotion à la hors classe pour ne pas avoir une liste bloquée politico-administrative trustant tous les postes ouverts. Nous sommes arrivés à un point d’étiage où, les personnages référents de l’histoire des corps s’effaçant du 95 avenue de France, nous en sommes conduits à constater avec accablement à quel point les pratiques nocives viennent disqualifier des intentions et discours, qu’ils soient politiques ou administratifs.

Didier HUDE