Éléments d’histoire collective des conseillers techniques et pédagogiques d’éducation populaire « Jeunesse et Sports »

Texte rédigé et présenté par Didier HUDE à l’occasion de l’université d’automne intersyndicale des CEPJ et CTPS JEP à Quiberon en 2021.

« L’éducation populaire, Ils n’en ont pas voulu ». Ainsi parlait Christiane Faure, compagnonne de Jean Guéhenno, au crépuscule de sa vie. Christiane Faure, pionnière de l’éducation populaire au ministère de l’Éducation nationale. Ils n’en ont pas voulu et pourtant ils l’ont eue.

Une histoire née dans l’élan de la Libération

Le général Charles de Gaulle s'entretient le 26 août 1944 avec Georges Bidault, président du CNR, à Paris le lendemain de sa libération. L’actuel corps des conseillers d’éducation populaire et de jeunesse, tout comme celui des conseillers techniques et pédagogiques dits supérieurs, relève de la longue histoire des corps de formateurs de la Jeunesse et des Sports. Pour le versant JEP, cette histoire de service public a débuté en 1944. Le régime de Vichy sombre. Le gouvernement provisoire de René Capitant le remplace. La sanglante bataille des Ardennes n’a pas encore commencé. Le 22 septembre 1944, alors que la seconde guerre mondiale est toujours en cours, Jean Guéhenno – inspecteur général en charge de la direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse – met en place des instructeurs spécialisés. Ils sont contractuels sans statut réel. Leur mission principale : contribuer à la formation des cadres associatifs. La direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse relève du ministère de l’Éducation nationale. Ces instructeurs nationaux doivent intervenir principalement dans les centres éducatifs, à partir de leurs disciplines, principalement artistiques. Les centres éducatifs remplacent les Écoles de cadres des mouvements de jeunesse soumises aux influences du régime de Vichy. Elles ne sont toutefois pas à confondre avec l’école des cadres des « chevaliers d’Uriage » animées par un maréchalisme convaincu et la francisque cocardière.

L’enjeu consiste à insuffler au sein des centres éducatifs l’esprit et les principes du programme du Conseil National de la Résistance, dont le siège jouxte le ministère de l’Éducation nationale. « Faire feu de tout bois » pour restaurer l’humanisme, après la guerre et l’holocauste. « Plus jamais ça » faisait partie des slogans. La philosophie politique qui préside à la mise en place d’instructeurs spécialisés dans les disciplines artistiques consistait à porter la culture populaire comme élément de lutte contre l’obscurantisme. Les instructeurs spécialisés devaient être des femmes et des hommes de terrain sachant que la culture à elle seule ne met pas à l’écart la barbarie. La preuve ? Les dignitaires nazis écoutaient ou jouaient Richard Wagner dans les camps d’extermination. Le fait de porter une culture populaire au plus près du peuple correspond à une mission de service public pour changer la société sur des bases qui se veulent émancipatrices, pour servir la conscience critique et l’ouverture d’esprit.

L’éducation populaire au sein du ministère de l’Éducation nationale

Au sortir de la seconde guerre mondiale – au sein du ministère de l’Éducation nationale – la direction des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire a théorisé les modes opératoires des instructeurs. Elle précise dès 1946 le recours aux stages et sessions de théâtre, chant, musique, danse, cinéma, marionnettes, arts plastiques, mais aussi des techniques d’entraînement de la pensée, proches de l’entraînement mental. Les instructeurs étaient donc formateurs dans leur mission d’État. Leur métier de base relève principalement d’un domaine d’expression artistique. La spécialité est leur outil d’intervention. Elle structure leur champ professionnel.

Mettons des noms sur cette trentaine de pionnières et pionniers désormais oubliés, sans qui nous ne serions pas là, ni ceux qui se sentent leurs héritiers, ni ceux qui, parmi nous, les ignorent :

Art dramatique : Hubert Gignoux, Olivier Hussenot, André Crocq, Yves Joly, Henri Cordreaux, Jean Rouvet, Charles Antonetti, Marie Diemesch, Jean Rodien, Jean Pierre Ronfart ;

Musique, chant choral : César Geoffray, William Lemit, André Verchali, Raphaël Passaquet, Jean Pesneau ;

Arts plastiques : Lucette Chesneau, Pierre Hussenot, Jean François, Lucien Lautrec, Gilles Duché ;

Cinéma : Marcel Cochin, Jean Le Landais, Marcel Deherpe, Jean Pauty ;

Danse, arts et traditions populaires : Thérèse Paleau, Pierre Goron, Pierre Panis, Marinette Journoud- Aristow ;

Techniques d’éducation populaire, nouvelles pédagogies : Nicole Lefort des Ylouses, Anne Jacques ;

Radio : Robert Barthès ;

Travaux manuels éducatifs : Albert Boeckhotdt

Une inspectrice, fondatrice de l’histoire collective des instructeurs

Image dans Infobox.La gestion des instructeurs est confiée à Jean Blanzat et Christiane Faure (belle-sœur d’Albert Camus). Mais dès 1946, « par mesure d’économie publique », la direction de l’éducation populaire est « fusionnée » avec la direction de l’éducation physique et des activités sportives, pour donner naissance à la « direction générale de la jeunesse et des sports ». C’est là le résultat des affrontements entre gaullistes et communistes. L’éducation populaire devenait suspecte. Née à Oran, Christiane Faure décide de repartir en Algérie. Henri Cordreaux en art dramatique et d’autres instructeurs la rejoindront. Les instructeurs bénéficiaient d’une grande liberté d’action accordée par la qualité de leurs spectacles et démarches. Christiane Faure créera un théâtre, elle fera des lectures publiques dans l’atlas saharien et le Tell, pas seulement dans les métropoles. L’Algérie n’est pas indépendante. Durant la guerre d’Algérie plusieurs inspecteurs de terrain seront assassinés par l’OAS.

Jusqu’au début des années 60 le statut des instructeurs n’évoluera pas. L’ébauche d’un corps de titulaires échouera en 1957, au moment de l’implantation des instructeurs régionaux. À la fin des années 5O on avait deux types d’instructeurs spécialisés : les nationaux rattachés à l’administration centrale et les régionaux auprès des rectorats. Une circulaire du 27 mai 1957 précise aux recteurs que les instructeurs régionaux sont spécialisés mais qu’ils concourent aussi à une démarche plus globale de formation et d’information des cadres associatifs, via des conférences, cours du soir, séminaires et stages organisés sur les temps libres hebdomadaires et congés. on institutionnalise les stages de réalisation qui formeront des milliers de professionnels et amateurs.

Naissance du syndicat des instructeurs au sein de la FEN : SNISEP

Le syndicat national des instructeurs spécialisés d’éducation populaire de la direction générale de la jeunesse et des sports fonctionnait comme une amicale structurée par spécialités. Il portait probablement le mandat d’amélioration du cadre statutaire des instructeurs mais l’idée de créer un corps de titulaires n’était pas le cœur de son orientation syndicale. Il est créé le 19 février 1950 au café tabac le Saint-Georges, rue Saint-Lazare à Paris. Enfanté au sein du ministère de l’Éducation nationale, ce syndicat était naturellement affilié à la FEN. Son premier secrétaire fut Jean Rouvet, spécialiste en art dramatique, futur administrateur du TNP, collaborateur de Jean Vilar. Il y avait 25 adhérents à sa création. Ce syndicat changera de nom en novembre 1963. Il sera dénommé SNCTPEP-FEN quand sera instauré le corps de contractuels des cadres techniques et pédagogiques de la jeunesse et des sports. Structuré sur la base des spécialités ce syndicat évitera en large partie l’isolement disciplinaire tout en privilégiant l’assise de l’art dramatique dans la profession.

1959 : création du ministère de la Culture absorbant des composantes de l’éducation

En 1959 un événement majeur vient bouleverser l’appareil d’Etat français : la création du ministère de la Culture, confié à André Malraux. Le Général de Gaulle conseille à son Premier ministre Michel Debré : « Il vous sera utile de garder Malraux. Taillez pour lui un ministère, par exemple, un regroupement de services que vous pourrez appeler « Affaires culturelles ». Malraux donnera du relief à votre gouvernement. »

Le Général De Gaulle et André Malraux en 1959 pour l'inauguration du Ministère des Affaires culturellesLe décret fondateur est publié le 24 juillet 1959. Il donne à ce ministère la « mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». C’était là une part de mission des instructeurs d’éducation populaire. Le nouveau ministère rassemble des services rattachés jusqu’alors à l’Éducation nationale : la direction générale des Arts et Lettres, la direction de l’Architecture, celle des Archives de France, les pans de la culture du haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Y sera ajouté le Centre National de la Cinématographie.

Albert Camus défendait l’idée de Maisons de la Culture, qui étaient dans les faits des scènes théâtrales. Rapatriée d’Algérie, Christiane Faure – la belle-sœur de Camus – fait un séjour éclair au ministère de la culture. Mais elle revient à l’éducation populaire avec un sentiment trouble face à ce qu’elle pressent des Affaires culturelles. Les cartons sont archivés et préparés pour passer de l’Éducation nationale aux Affaires culturelles. Des dizaines d’années après ils n’ont pas bougé, oubliés à l’éducation. Mais nombre d’instructeurs spécialisés feront le choix de quitter l’Éducation nationale et Jeunesse et Sports pour rejoindre la Culture, avec un grand Q dirait Franck Lepage.

Les « Glorieuses », la professionnalisation de l’animation… et Maurice Herzog

Le 28 février 1962, sous l’impulsion de Maurice Herzog, Haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, la place des instructeurs nationaux et régionaux est réaffirmée pour assurer une couverture nationale du territoire et des mises en réseaux. Une grande faculté d’organiser son travail, de définir ses publics, de dégager des priorités est toujours laissée aux instructeurs.

Robert Brichet, en délicatesse avec la majorité politique du moment, structure peu à peu la direction de la jeunesse et de l’éducation populaire. Trois bureaux la composent.

Au sein du bureau J1 on a plutôt ce qui relève de l’inorganisé et de l’émergeant : foyers de jeunes travailleurs, mais aussi UCPA. La dimension de spécialité forgée à partir des sciences humaines est plus affirmée. Mais on retrouve aussi des disciplines artistiques. Ce bureau traitera aussi des futurs CTP mis à disposition du Centre de Formation Interarmées d’Angoulême (CIFA) qui formait les appelés qui animaient les foyers du soldat.

Au sein du bureau J2, confié à Christiane Guillaume, qui gère les relations avec les mouvements organisés (MJC, MRJC, Ligue de l’enseignement, foyers ruraux…) on retrouve les instructeurs nationaux et des instructeurs régionaux à dimension artistique.

Le bureau J3 s’occupe pour sa part des accueils de mineurs, centre de loisirs et colos. Il a une fonction essentiellement administrative et n’a pas d’instructeurs attitrés.

Les rapports entre instructeurs J1 et J2 seront parfois teintés d’incompréhensions, les missions étant similaires mais les conditions d’emploi différentes. Enfin, le développement des instructeurs régionaux viendra aussi déséquilibrer le rapport de forces initial à l’intérieur du corps. Il atomisera aussi les cadres de gestion tributaires des différentes autorités rectorales. La liberté d’initiative liée à la spécialité demeurera. Mais la réalité des pratiques d’une région à l’autre variera beaucoup.

Inspection Jeunesse et Sports : un développement parallèle à celui des instructeurs

Le décret n°45-2388 du 17 octobre 1945 porte création du corps de l’inspection générale des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire. L’inspection générale pour le sport existait déjà depuis plus de 20 ans. Côté JEP on affecte 2 inspecteurs généraux et 4 inspecteurs administratifs à la direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse de l’administration centrale.

L’inspection générale Jeunesse et Sports sera créée le 27 novembre 1946.

Mais le corps des Inspecteurs généraux JS ne sera vraiment créé qu’en 1976 : décret 76-1193 du 24 décembre 1976. Ce statut la veille de Noël était un cadeau pour nos collègues.

Pour le corps de l’inspection proprement dit c’est plutôt l’année 1940 qui est forte symboliquement.

La loi du 27 novembre 1940 qui crée le Commissariat général à l’éducation générale et aux sports génère 206 postes d’inspecteurs de l’éducation générale et des sports, soit 6 postes d’inspecteurs généraux, 20 d’inspecteurs principaux, 80 d’inspecteurs et 100 d’inspecteurs adjoints.

Pour sa part, la loi du 5 décembre 1940 qui crée le Secrétariat général à la Jeunesse génère 218 postes de délégués à la jeunesse, soit 3 postes d’inspecteurs généraux, 38 de délégués régionaux, 173 délégués adjoints. Ils sont répartis au niveau national, académique et départemental. Dans la France de Vichy ils ont pour mission le développement du sport et des activités de jeunesse, avec contrôle des associations en assurant la gestion.

Le décret du 27 novembre 1946 vient modifier la structuration des services Jeunesse et Sports et fusionne les inspecteurs et inspecteurs principaux de la jeunesse et des sports, L’article 3 précise que le sous-secrétariat d’État est représenté, « dans chaque académie, sous l’autorité du recteur, par un inspecteur principal, chef du service académique de la jeunesse et des sports ; dans chaque département, sous l’autorité de l’inspecteur d’académie, par un inspecteur, chef du service départemental de la jeunesse et des sports. ». De fait l’inspection JS se voit doter d’une forme d’assurance de carrière liée à l’encadrement.

Après une avancée statutaire provisoire en 1951, le décret n°74-903 du 25 octobre 1974 créera réellement le statut du corps des IJSL.

Pendant tout ce temps, depuis 1944, les contractuels du sport et ceux de l’éducation populaire qui étaient spécialisés étaient dans des relations parfois très distantes de l’inspection de terrain. Les contractuels du sport étaient placés auprès du mouvement sportif dans une relation aux présidences sportives et directions techniques nationales. Les contractuels JEP étaient eux aussi sur le terrain dans les réseaux qu’ils avaient eux-mêmes constitués liés à leurs spécialités ou missions relevant des bureaux J1 ou J2. Les rapports du quotidien IJS/PTP étaient plus liées à leur compagnonnage éventuel qu’à une relation administrative.

1963, un statut commun de contractuels Sport et JEP : conseiller technique et pédagogique

Pendant 20 années de 1944 à 1963, le statut des instructeurs n’aura été balisé que par des circulaires fonctionnelles. Les choses changent en 1963 pour l’éducation populaire et le sport. Un statut d’opportunité est enfin créé par le décret 63-435 du 29 avril 1963. C’est une opportunité pour les acteurs de l’éducation populaire qui ne sont pas à l’origine de ce statut. C’est le mouvement sportif. Il fallait recruter des contractuels relevant de l’élite sportive pour les placer auprès de leur milieu disciplinaire et faire monter en puissance la France dans les compétitions internationales. Ces athlètes n’étant pas souvent professeurs d’EPS, il fallait un statut pour leur offrir cette seconde carrière. Aujourd’hui les entraîneurs nationaux comme Olivier Krumbholz, entre autres, sont héritiers de cette initiative syndicale.

Le corps de contractuels fut donc dès son origine construit sur les deux versants Sport et JEP, comme celui des CTPS 40 ans plus tard.

Les missions techniques et pédagogiques et fonctions sont voisines entre le sport et domaine JEP. Elles précisent que les CTP JEP sont chargés du perfectionnement et de l’information des animateurs d’éducation populaire. C’est aussi le début de la professionnalisation de la branche de l’animation, accompagnée par la mise en place du diplôme d’État de conseiller d’éducation populaire (DECEP). Peu de CTP sont enseignants d’origine, certains sont des autodidactes. La moyenne des diplômes se situe entre le baccalauréat et la licence. Le DECEP permettra de changer de catégorie dans ce corps qui en compte trois : la première catégorie est réservée au moins aux diplômés du premier cycle universitaire (certains CTP ont un doctorat, comme Serge Lagrange – Ecole du Louvre), la seconde catégorie aux bacheliers engagés dans le premier cycle universitaire ou titulaires du DECEP, la troisième pour ceux qui ne sont pas détenteurs des diplômes ou titres permettant l’accès à la deuxième ou première catégorie. Les contrats sont d’un à trois ans renouvelables.

L’accès à un statut officiel dans la fonction publique d’État a une conséquence objective : classés par rapport à des titres, les CTP deviennent « subalternes » à certains autres corps et un pyramidage s’effectue entre eux au travers des catégories. Même si statutairement la dimension technique et pédagogique demeure, l’autonomie n’est plus d’évidence au regard des autorités régionales Jeunesse et Sports et recteurs. Les instructeurs étaient sans véritables moyens d’action, trouvant les subsides des stages et réalisations dans leurs propres réseaux ou affinités territoriales. Désormais le poids de l’administration qu’ils intègrent leur fait constater une certaine réalité bureaucratique où la hiérarchie locale peut décider ou pas d’accorder des moyens et disposer de ces moyens selon sa volonté. Tout dépend de la personnalité du directeur régional puisque que les CTP sont principalement affectés en région ou à l’administration centrale.

Les procédures d’intervention se modifient. Mais un autre phénomène s’installe avec la professionnalisation de l’animation et l’organisation des marchés publics liés à l’animation. Il y a un sentiment exacerbé de concurrence entre les CTP Jeunesse et Sports et les associations, en particulier sur les questions liées aux formations des bénévoles comme des professionnels. Les instructeurs spécialisés travaillaient avec les associations. Les CTP ont un positionnement plus distancié lié à leurs nouvelles conditions d’emploi et partiellement au développement des établissements Jeunesse et Sports. Les CREPS sont liés au réseau sportif mais investis par des formateurs JEP.

1964 un autre changement de taille : le recrutement des assistants de jeunesse et d’éducation populaire dans les services départementaux.

Pour la direction des sports, Marceau Crespin – colonel et initiateur des troupes héliportées en Indochine – est nommé au ministère pour la préparation olympique. Il développe dans les départements les assistants départementaux du sport, à la suite de ceux qui étaient « jeunesse ouvrière ». C’est la préfiguration des conseillers d’animation sportive aujourd’hui. Ils étaient souvent des enseignants d’éducation physique et sportive. Cette proximité et cette forme de polyvalence pour accompagner des politiques sportives intéressent Robert Brichet qui obtiendra jusqu’à 200 supports budgétaires du sport pour recruter des assistants départementaux et quelques rares assistants régionaux JEP.

Sans statut, les assistants JEP n’ont qu’une « autorité » fonctionnelle. Ils étaient pour moitié, soit instituteurs ou PEGC, soit pour l’autre moitié placés sur des supports de maîtres auxiliaires d’éducation physiques et sportive. Ils étaient nommés sur délégation rectorale pour l’année scolaire et reconduits tacitement. Quelques assistants non titulaires seront licenciés après des conflits avec leurs hiérarchies locales. Ces assistants non titulaires n’avaient aucune perspective de carrière. Les congés des AJEP étaient calqués sur ceux des assistants du sport. Ils oscillaient selon les départements entre 12 et 15 semaines par an, soit 60 à 75 jours de congés pour se rapprocher des congés scolaires enseignants. Ils n’avaient pas d’instance paritaire de gestion, pas de droit organisé à mobilité. Si conflit, ils étaient tributaires des CAPA locales des chargés d’enseignement d’EPS qui à cette occasion découvraient l’incongruité de leur situation administrative.

Contrairement à l’idée répandue à l’époque chez certains CTP, les assistants JEP avaient une grande autonomie d’organisation de leur temps de travail, malgré des passages obligés dans les services où ils avaient un bureau. Un CTP en direction régionale n’avait pas de bureau, pas plus qu’un CTR. Il y avait en moyenne 1 à 2 assistants par département et moins de 10 CTP pour toute une région. Les effectifs en assistants sportifs étaient 4 à 5 fois supérieurs. Dans les régions on avait souvent de 8 à 15 assistants Sport et 30 à 40 CTR, sauf à Paris qui a toujours été une exception, avec des centaines de conseillers techniques sportifs nationaux. Les Assistants JEP venaient parfois du sport. Cela a été une tradition en Loire-Atlantique. On commençait dans la pratique sportive, on finissait dans le théâtre. Plusieurs assistants départementaux travaillaient avec les CTP, devenaient spécialistes en arts et traditions populaires, musique, art dramatique, cinéma, image et son…

Une amicale des assistants JEP se crée. Elle envisage de se transformer en syndicat pour rejoindre la FEN. Très vite une opposition entre assistants JEP originaires de l’éducation nationale aboutira à une scission syndicale. La FEN imposera aux assistants de se syndiquer au SNATE (syndicat national des animateurs et techniciens de l’animation) qui était un syndicat de l’animation avec un collège spécifiques AJEP. Le SNAJSL voulait un syndicat spécifique. Fin des années 70 il n’y avait plus que 20 à 25 syndiqués au SNATE. L’autre syndicat, qui était autonome, le SNAJSL (syndicat national des assistants de la jeunesse, des sports et des loisirs) n’avait pas plus d’adhérents. Le SNAJSL défendait sic : « le prestige et l’autorité de la fonction d’AJEP ». Pour leur part, les AJEP du SNATE voulaient être alignés sur les CTP dans la reconnaissance des compétences et le positionnement. Ils ne voulaient pas d’une posture de sous inspecteur.

Il n’y avait pas d’élections pour mesurer la représentativité chez les AJEP puisqu’il n’y avait pas de CAP nationale mais le SNATE appartenant à la FEN il avait vocation à négocier très à la marge avec l’administration. Le SNCTPEP, qui avait un regard méfiant sur les assistants lorsqu’ils étaient en position de sous inspecteurs de départements, ne souhaitait aucunement à l’époque (en 1965) envisager la moindre fusion.

Il faudra attendre « la folle nuit bleue » du SNCTPEP pour que le contexte évolue.

12 décembre 1970, INEP de Marly-le Roi, « la folle nuit bleue » du SNCTPEP et son évolution

En décembre 1970 le ministère organise à l’Institut National de l’Education Populaire, des journées nationales d’études auxquelles tous les CTP sont conviés. Le SNCTPEP en profite pour tenir son assemblée générale. Le bureau sortant est a priori démissionnaire pour renouveler les cadres. Une liste de 8 noms (CTP de disciplines artistiques) pour 7 postes au bureau national avait auparavant fait connaître un programme. Cette liste avait fait savoir que si elle n’avait pas la totalité des sièges du bureau, les élus de cette liste démissionneraient. Des candidatures individuelles étaient également déposées. La liste de 8 noms avait fait connaître qu’elle tenait à une homogénéité au sein du bureau. Le vote se tient. Seul un candidat individuel (CTP sciences humaines) recueille un nombre de voix suffisant pour être élu officiellement. De fait l’AG souveraine entre dans des tractations complexes. Finalement un nouveau bureau est composé, fruit de compromis entre bureau précédent et de nouveaux arrivants. Ce bureau aura en charge la préparation d’un congrès du changement en 1972.

En 1974 le SNCTPEP deviendra en quelque sorte une fédération de sections régionales, avec des instances assurant mieux la diversité des sensibilités des adhérents.

Vers la fusion des CTP et des Assistants JEP au sein du SNCTPEP-FEN

En 1977 le SNATE prend un mandat pour envisager les conditions d’une fusion avec le SNCTPEP. Loïc Hamon, puis Didier Hude successivement secrétaires généraux du collège AJEP du SNATE en informent également André Henry secrétaire général de la FEN à l’époque. Après contact avec Marcel Giry, secrétaire général du SNCTPEP, ainsi que Michel Simon et Francis Touchard, secrétaires nationaux du SNCTPEP, il est admis que cette fusion se fait sur deux bases partagées : la revendication d’un statut de titulaire commun de cadre A de type enseignant et l’alignement des AJEP sur le positionnement des mandats du SNCTPEP pour éviter toute confusion fonctionnelle avec les corps de l’inspection dotés d’un statut précisé depuis 1974.

Un congrès du SNCTPEP en janvier 1979 actera la fusion et de fait la disparition du collège assistants du SNATE qui deviendra effective fin 1979. Seule la section du SNCTPEP de Nantes votera contre la fusion (1 voix Pour 7 voix contre). Cette fusion était travaillée en parallèle à une réforme du statut des CTP contractuels débutée conjointement par le SNCTPEP et le SNATE en 1978.

1979 un nouveau statut de CTP se rapprochant de la titularisation

C’est principalement l’action du SNCTPEP-FEN qui obtiendra en juin 1979 une modification substantielle du statut de 1963. Le contrat de CDD renouvelable devient de durée indéterminée. Ce CDI met un terme aux reconductions cycliques de 1 à 3 ans. Autre dimension corporative conséquente : la mise en extinction progressive de la troisième catégorie des CTP, accompagnée d’une session DECEP spécifique pour les AJEP et CTP JEP afin qu’ils accèdent à la 2e catégorie. Cela reviendra à quasiment faire disparaître la 3e catégorie du domaine JEP. Elle perdurera dans le versant sport. Les syndicats FEN du Sport SNEP (professeurs d’EPS) et SNEEPS (chargés d’enseignement d’EPS) se mobiliseront peu, voire pas du tout. Le syndicat autonome des contractuels du Sport (en réalité une amicale de cadres techniques sportifs) restera en dehors mais ne s’opposera pas à l’action du SNCTPEP et du SNATE.

L’article sur les fonctions sera âprement discuté, tant au sein du SNCTPEP qu’avec l’administration. Il précise que les CTP « selon leurs spécialités techniques et pédagogiques, exercent des fonctions de formation, d’information, de conseils, d’expérimentation ou de coordination ». La coordination a été rajoutée pour inclure potentiellement les AJEP non spécialisés dans ce statut. Le « ou » dans le membre de phrase « ou de coordination » est-il inclusif ou exclusif ? Cela fera longtemps disserter.

Pour tout dire les AJEP titulaires (instituteurs ou PEGC) ne seront pas motivés pour intégrer ce corps de contractuels. En revanche la quasi-totalité des maîtres auxiliaires, intégrant directement la deuxième catégorie, seront quant à eux intéressés. Mais aucune intégration ne sera effective. L’administration n’en a pas les moyens et la Fonction Publique traîne des pieds. Les AJEP sont divisés et ceux originaires du SNATE défendent la nécessité de mettre un terme aux fonctions d’AJEP pour se rapprocher du cadre des CTP JEP en prenant appui sur l’utilité de créer des CTD JEP (conseillers techniques et pédagogiques départementaux).

Ce sera un moment de discussions sur le sens de l’action syndicale particulièrement intense alimenté par un manifeste des CTP JEP en gestation depuis 1978 qui ne sera jamais ratifié faute de temps mais également, bousculé par l’Histoire par l’avènement de la Gauche en 1981.

1981 un camarade devient ministre, les effectifs sont doublés

André Henry devient le ministre du Temps Libre reprenant les attributions Jeunesse et Sports. Début juillet 81 on annonce la création de centaines d’emplois de CTP JEP. Ils deviendront effectifs en septembre et octobre 1981.

En juin 81, il y avait 260 CTP JEP et environ 200 AJEP. Dès l’automne, arrivent environ 500 CTP JEP sur la spécialité inventée « Loisir social », ou « Tourisme social », ou « activités de pleine nature », ou encore « innovations sociales ». Ils sont recrutés à la hâte par la Direction de l’éducation populaire, principalement en DDJS. Dans certains cas les nouveaux collègues sont « cooptés », souvent en tant qu’anciens stagiaires, par les CTP ou AJEP déjà en poste. Mais majoritairement ce sont les corps d’inspection et chefs de services qui recrutent. Le principe de cooptation issu des instructeurs vole en éclats. Les débats internes au SNCTPEP se tendent à tel point qu’au congrès de 1981, des secrétaires nationaux quittent dans les faits leur mandat national, sans démissionner du syndicat, par refus de complaisance avec une Gauche qui, sans concertation, consacre par un recrutement massif une « ajepisation » du corps des CTP. L’identité professionnelle est sur la sellette.

Très vite l’article 3 du statut de CTP issu de 1979 est interprété par l’inspection. Le petit membre de phrase des statuts évoquant la fonction de coordination se révèle un enjeu majeur. Précédée du « ou » de coordination, cette fonction devient fourre-tout avec un « ou » exclusif imposé en Directions départementales. En conflit, plusieurs CTP de 81 quitteront le corps ou seront licenciés dans les mois suivant leur recrutement, ou à l’issue de l’année d’essai. D’autres collègues au contraire s’accommoderont de ces nouvelles conditions d’emploi. Certains rejoindront le syndicat autonome des AJEP (SNAJSL) qui ne disparaîtra qu’après 1990 sans jamais devenir représentatif.

En avril 1982 c’est la direction de la Jeunesse – sous la coupe d’Edwige Avice – qui va recruter à son tour 200 CTP sur la spécialité « Jeunesse », encore plus fourre-tout que celle dite « Loisir social ». Loïc Hamon, devenu secrétaire général du SNCTPEP en juin 1981, interpellera selon ses propres termes, le « camarade Ministre » André Henry qui connaissait fort bien l’histoire des CTP JEP. Mais le « camarade devenu Ministre » était aussi entouré d’autres « sachants » de Jeunesse et Sports qui, inspecteurs, nourrissaient d’autres desseins que ceux du SNCTPEP-FEN. Malgré tout, le principe de la titularisation avançait. Le Code du Travail et les droits syndicaux s’amélioraient. La loi de 1983 sur la résorption de la précarité dans la Fonction Publique ouvrait des perspectives.

Des efforts réciproques sont opérés au sein du SNCTPEP pour travailler dans l’unité la titularisation des CTP JEP et des AJEP, totalement liée à celle des CTP Sport. Le secrétariat national élu en 1981 avait fait valider le principe d’un vote sur liste d’orientation. Là aussi accord se fait pour éviter les affrontements de 1981. Une liste commune à trois tendances se dégage : l’une proche de la majorité fédérale de la FEN (tendance Unité Indépendance Démocratie dite réformiste), l’autre regroupant une partie du courant de pensée « Unité et Action » de la FEN, courant plutôt proche du parti communiste qui sera largement à l’origine de la création de la FSU, et un troisième courant regroupant quelques camarades de l’Ecole émancipée, d’un courant autogestionnaire, d’ex-membres de la CFDT et de la CGT issus des recrutements de 1981 et des hors tendances affirmés. Par souci de donner un signal les camarades de la majorité fédérale proposent à Didier Hude de devenir en 1983 secrétaire général avec mandat de travailler avec Michel Simon et Loïc Hamon les conditions de la titularisation. Ce chantier durera deux ans.

1985 : trois statuts de titulaires, tous calqués sur les corps enseignants répliqués de l’EPS

Cette période fut exaltante mais éprouvante. Il fallut vraiment batailler pour obtenir un statut enseignant. Ce fut le DRH de l’époque – Daniel Peraud – qui obtint l’alignement des personnels techniques et pédagogiques JS sur les enseignants d’EPS tant en Sport qu’en JEP. En Sport les professeurs d’EPS voulant rester dans ce corps seront détachés dans le corps des professeurs de Sport (Décret 85-720 du 10 juillet 1985) et les contractuels de 1ère catégorie au moins à l’indice majoré 500 seront reclassés directement dans ce corps. Les autres CTP Sport et chargés d’enseignement d’EPS ayant un titre sportif (STAPS, Brevet d’Etat) seront soit maintenus dans leur statut de contractuel, soit reclassés dans un corps de chargé d’enseignement d’EPS. La double carrière prof d’EPS et Prof de Sport est assurée. Le SNEP (déjà au MEN) s’opposera à ce schéma ne voulant pas du corps du professorat de sport. Il voulait au contraire travailler la place des collègues JS au sein du professorat d’EPS. Il a été isolé les autres syndicats voulant un corps Sport spécifique JS.

Par parallélisme des formes, le versant JEP se verra instituer le 10 juillet 1985 un corps de Chargés d’éducation populaire et de jeunesse mis en voie d’extinction (décret 85-722) similaire au chargés d’EPS et un corps de CEPJ (décret 85-721) similaire aux professeurs certifiés d’éducation physique et sportive. Les collègues du Sport sans titres sportifs permettant d’intégrer les profs de sport ou chargés d’EPS seront intégrés dans le corps des CHEPJ. Ils représenteront près de 10% des effectifs.

Le SNCTPEP tenait absolument au parallélisme des formes pour pouvoir bénéficier des revalorisations portées au sein de la FEN sur les familles de corps enseignants. Rien n’a été laissé au hasard, à tel point que ces corps Jeunesse et Sports ont tous été assimilés et le sont toujours aux corps enseignants. C’est pourquoi en 1990 tous ces corps obtiendront la création de la hors classe portée par le gouvernement Jospin. C’est pourquoi ces corps ont obtenu le bénéfice du dispositif dit PPCR (Parcours Professionnels, Carrières, Rémunérations) et la création de la classe exceptionnelle en 2017. Nous vivons sur cet héritage corporatif qui fait des corps de professeurs de sport, CEPJ et depuis 2017 CTPS des corps relevant de la nomenclature enseignante. Isoler ces corps de ceux de l’éducation aurait été une erreur stratégique politique, déontologique et corporative.

Les statuts des corps de professeurs de Sport, CEPJ et CHEPJ de 1985 ont été l’occasion de passes d’armes mémorables sur la définition des fonctions. Les échanges intersyndicaux à l’intérieur de la FEN ont été âpres avec le syndicats des inspecteurs JS et le syndicat des inspecteurs principaux d’autant que des membres de ces syndicats appartenaient aux cabinets des ministres.

En 1985, le SNCTPEP a réussi à sauver les missions, mais pas les fonctions. Le libellé stipulait que les CEPJ « exercent leurs missions dans le domaine de la jeunesse et de l’éducation populaire » ». Au départ l’administration souhaitait adjoindre le terme de fonctions sans les citer. Les négociateurs du SNCTPEP ont fait retirer le terme de fonctions pour que celles des CTP – qui elles étaient citées dans le décret de 1974 -conservent une part de référence puisque le corps de titulaires reprenait les attributions du corps de contractuels. De surcroît ce corps de contractuels continuait à exister. Tout le monde n’avait pas intérêt financièrement à devenir titulaire.

La direction de la Jeunesse a voulu imposer la présence de la Jeunesse dans le domaine d’activité : la Ministre Edwige Avice voulait voir apparaître son périmètre ministériel. Elle l’a obtenu. Cela a provoqué une césure évacuant les démarches d’éducation populaire. Les CTP « Jeunesse » étaient phagocytés par « les dispositifs » en lieu et place des démarches d’éducation populaire. Mais en creux, les fonctions sans les citer étaient sauvegardées parce qu’elles correspondaient toujours à une réalité professionnelle des CTP antérieure à 1981. Le SNCTPEP a obtenu une précision fondamentale en ce sens : les missions étaient effectuées selon les spécialités techniques et pédagogiques. Cela protégeait les CTP qui le voulaient de la « polyvalence modulable ». Un arrêté a fixé la liste de 14 spécialités dont la spécialité « Jeunesse » imposée de manière obstinée alors que ce n’est pas une spécialité mais une catégorie de population.

Le SNCTPEP a validé le principe de ces statuts de titulaires. Malgré le risque de perte d’autonomie dans le travail, il y avait une réelle progression salariale pour les nouveaux collègues et des perspectives d’évolution de carrière. De surcroît, le SNCTPEP avait obtenu dans une première ébauche du corps, l’intégration de tous les collègues ayant une licence ou un DECEP, ou un CAPASE, ou un DEFA dans le corps des CEPJ, soit 98% du corps. En voyant cela Bercy a imposé la nécessité de détenir au moins l’indice majoré 500 qui ne pouvait l’être qu’en fin de carrière de PEGC ou fin de carrière de CTP de 1ère catégorie. Cela n’a plus représenté que 12% des collègues dans le corps des CEPJ avec une moyenne d’âge sonnant la pension civile. La mort dans l’âme le SNCTPEP a alors négocié un plan d’intégration rapide des CHEPJ dans le corps des CEPJ. Il a travaillé des modalités de concours respectueuses des spécialités. Ce qui a été plus ou moins bien réussi tant que la formation initiale s’est déroulée au CREPS de Mâcon qui a été démantelé sous Sarkozy en 2011.

Dès la création du corps de CEPJ – seul corps JEP où on pouvait désormais recruter – le SNCTPEP obtint un séminaire à l’INEP de Marly-le-Roi pour travailler les épreuves de concours communes et de spécialités. Des dizaines de collègues furent convoqués pour plancher sur les programmes et la nature des épreuves. L’autre enjeu fut la formation initiale. Les inspecteurs s’étaient tenus à distance des modalités de concours. Ils réapparurent en force sur la formation initiale cherchant indubitablement à la contrôler. L’inspection générale était de connivence.

L’atomisation syndicale progressive et ses conséquences prévisibles

En 1985 le courant du SNCTPEP dénommé « Education Pluralisme et Autogestion » devient la première composante du syndicat. Peu à l’aise avec l’orientation dominante de la FEN et sans pour autant s’inscrire dans son opposition, une part de la composante EPA met en débat l’appartenance à la FEN. Les discussions sur l’appartenance fédérale sont clivantes. Paradoxalement ce sera même plus clivant que certaines divergences sur la conception du métier et ses évolutions. Le courant « Unité et Action » est clivé également : une partie a formé la tendance « crédibles, Responsables, Unitaires », l’autre milite activement dans EPA. Lors d’un congrès extraordinaire en 1989 le SNCTPEP décide de rester à la FEN. Lors du congrès ordinaire de 1990 le courant EPA demeure la première composante approchant 50% des voix. L’annulation des voix de deux sections régionales syndicales à majorité EPA empêche – selon EPA – d’obtenir une majorité qualifiée. Une coalition UID/CRU prend alors la direction du SNCTPEP. Il s’en suivra un schisme douloureux. Loïc Hamon, resté au SNCTPEP, reprendra la poste de secrétaire général. Ce choix permettra à la mouvance EPA, inscrite dans la création de la FSU, de continuer à travailler objectivement et en commun les dossiers professionnels JEP, telle l’instruction de 1993.

EPA et le SNCTPEP seront les seuls syndicats représentatifs des CEPJ. Ils le sont encore. Mais EPA ne cessera d’enregistrer des départs qui donneront lieu d’une part à un renforcement du SGEN-CFDT sur des bases divergentes du métier qui ne cesseront de se creuser. D’autres membres d’EPA, considérant que l’unité organique de la FEN n’a plus de sens avec sa transformation en UNSA, iront créer le SNPJS CGT actuel. La dimension multi catégorielle du SGEN fera qu’il se développera surtout sur un discours de défense des conditions de travail du quotidien, sans revendication métier, avec un succès certain dans les établissements. Seuls dans le domaine JEP le SEP à l’UNSA et EPA à la FSU porteront encore face à l’administration des revendications liées à une conception voisine du métier de CEPJ et de son devenir via les spécialités. Le SNPJS les rejoindra plus tard sur ce point. Cette atomisation syndicale, accentuée aujourd’hui par la création de Solidaires JS, dessert d’évidence l’action syndicale. Elle traduit à la fois une perte d’unité de représentation du métier et une politisation d’un positionnement syndical qui n’est pas seulement victime de ses divisions puisqu’il subit le lessivage du dialogue social et des acquis salariaux d’une technostructure quasi inamovible depuis une vingtaine d’années. Malgré cela, en jouant sur des solidarités intersyndicales à géométrie variable, de nombreux acquis ont été obtenus depuis la fracture syndicale de 1990 et ses séquelles.

La circulaire de 93-063 JS

Le passage de la ministre Frédérique Bredin (1992-1993) sera marqué par un moment de déshérence. Les divisons syndicales commencent à se traduire par des expressions de plus en plus théorisées qui créent de la confusion et des tensions dans les services. Les corps de l’inspection via leurs deux syndicats représentatifs du moment (l’ex SNIJSL-FEN et le SGEN-CFDT) prennent de plus en plus de place pour exposer ce que doit être le métier de CEPJ, mais aussi celui des professeurs de sport.

Sans se concerter, face à la déshérence ministérielle, le SNCTPEP et EPA décident de solliciter Geneviève Domenach-Chich, alors directrice de la jeunesse, pour travailler une circulaire traitant des conditions d’emplois des CEPJ. Très vite il apparaît évident d’y associer la direction des sports et la direction générale de l’administration JS. Cette instruction en gestation concernera donc aussi le domaine du Sport et pas seulement le versant JEP. Le SNIJSL est associé ainsi que les syndicats représentatifs des PTP. Finalement cette instruction rappellera l’essentiel des missions des CTP et instructeurs. Les professeurs de sport les feront leurs. Le rapport de forces entre les syndicats de PTP et celui de l’inspection JS conduiront l’administration a reconnaître les spécificités des personnels techniques et pédagogiques tout en concédant des acquis à l’encadrement de proximité.

La bataille pour la défense des métiers a été précieuse. Les adversaires de l’instruction de 93 (syndicat d’inspection et SGEN-CFDT à l’époque) continuent aujourd’hui à considérer qu’il faut oublier ce texte.

Des mois de négociations parviennent à produire une instruction portant sur les missions des PTP.

Les missions des personnels techniques et pédagogiques peuvent être regroupées dans trois domaines d’intervention : la formation, le conseil et l’expertise, l’expérimentation et la recherche. Il s’agit là d’un cadre réglementaire commun aux corps de PTP.

Le plan d’action des PTP qui inclut notamment la mise en œuvre de projets correspondant à des programmes ministériels ou interministériels est déterminé chaque année sous la forme d’un contrat d’objectifs. celui-ci est arrêté d’un accord commun entre le chef de service et l’agent à partir d’une proposition élaborée par ce dernier, laquelle doit être conforme aux orientations définies par le chef de service.

Cette dernière mention est particulièrement alambiquée. Son principal mérite est de signifier que les PTP ne sont pas des agents d’exécution mais sont bien des cadres A, reconnus dans leurs capacités de conception avec des sujétions liées à leurs statut. Elles correspondent à un bloc de missions justifiant leur emploi. Tout se tient. Le chef de service, reconnu dans sa fonction de direction, indique l’orientation mais ne peut ignorer le cadre statutaire des agents.

Les syndicats ont pris appui sur les conditions d’emplois des CTP spécialisés et CEPJ spécialisés qui à l’époque étaient souvent, au niveau régional, engagés dans des formations de longue durée, des stages de réalisation… Ils ont pris appui sur les cadres techniques sportifs régionaux et nationaux souvent éloignés de leur domicile eux aussi et soumis à des horaires atypiques.

Les syndicats ont également fait valoir les régimes indemnitaires spéciaux, forfaitaires, attribués à tous les PTP exerçant leurs fonctions, en compensation de sujétions récurrentes partagées dans l’exercice du métier et non pas individualisées. Le contexte était balisé de tous côtés par les syndicats et en particulier par le SNCTPEP et EPA qui menaient les discussions.

Malgré ses ambiguïtés l’instruction 93-063 JS témoigne 50 ans après l’installation des instructeurs d’un métier qui certes a évolué mais dont les finalités demeurent proches. Ce métier qui correspond à des missions de terrain réaffirmées requiert des conditions d’emploi adaptées pour qu’il puisse perdurer. En 1993 il y avait encore près de 700 CEPJ et à peine 30 étaient réellement des nouveaux collègues issus des concours. Ceci explique largement le rapport de forces et la culture commune partagée sur le sens du métier entre les deux syndicats à la manœuvre.

Le corps de débouché des CTPS

Fin des années 90, le principe d’un corps de débouché pour les professeurs de sport était pausé par le SNAPS-UNSA en particulier pour mieux rémunérer et reconnaître sur le versant sport les niveaux de responsabilité et compétences des directeurs techniques nationaux et entraîneurs nationaux. Le SNEP-FSU y était aussi favorable à la condition expresse que ce statut soit celui des professeurs agrégés. EPA, en tant que syndicat multi catégoriel, bien que divisé sur le sujet, était aussi favorable à la création d’un corps de débouché. Mais pour une raison un peu différente : que les PTP soient reconnus à l’égal des corps d’inspection en termes de titres et compétences, mais dans des métiers complémentaires. Et que ce corps de débouché témoigne des mêmes capacités que l’inspection à accéder aux postes de direction dans les services et établissements. Le SEP s’est tenu dans la réserve. La CGT et la CFDT n’ont jamais été associées aux travaux car le ticket d’entrée était celui de la représentativité dans les CAP existantes.

La ministre Marie-George Buffet avait ouvert une grande réflexion sur les métiers Jeunesse et Sports. Tout naturellement elle est allée au bout de la démarche consacrant la création du corps de débouché en 2002. La DGAFP refusera la similitude avec le corps des agrégés. Le SNAPS souhaitait un statut proche de celui des ingénieurs. La FSU obtint finalement le déroulement de carrière plus rapide que les agrégés, sur la même grille indiciaire que ces derniers, mais le statut fut décroché de celui des enseignants. Le terme d’ingénieur convenant mal, EPA proposa qu’on appelât ce corps « conseiller technique et pédagogique » pour s’inscrire dans la lignée de l’histoire éducative du ministère et s’appuyer sur les missions et fonctions du corps des contractuels en extinction. Contre toute attente la GRH Jeunesse et Sports valida la proposition d’EPA en ajoutant supérieur à CTP.

EPA, seul, obtint de la DJEVA de l’époque de préciser dans un article des statuts les missions des CTPS JEP. Le SNAPS constatant l’avancée proposa une démarche commune pour que le versant Sport soit doté des mêmes précisions. Cela fût accepté. C’est pourquoi on a dans ce corps des CTPS des libellés précis de fonctions et missions. On notera qu’elles sont très proches de celles des CEPJ.

Article 4

Les conseillers techniques et pédagogiques supérieurs (domaine de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative) exercent leurs fonctions, selon leur spécialité technique et pédagogique, dans les services et les établissements publics relevant du ministre chargé de la jeunesse ou du ministre chargé des sports.

Ils exercent les missions suivantes :

a) Expertise, études, recherche, formation et ingénierie de formation dans les secteurs de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative ;

b) Conception, mise en œuvre et évaluation de politiques publiques dans ces mêmes secteurs.

Un arrêté du ministre chargé de la jeunesse établit la liste des spécialités techniques et pédagogiques.

L’article 3 concerne le sport. Il stipule que les CTPS sport peuvent aussi exercer leurs fonctions auprès des fédérations et groupements sportifs en reprenant le même libellé du versant JEP mais en ajoutant des fonctions de management d’équipes d’athlètes ou d’entraîneurs et de coordination de conseillers techniques sportifs.

En 2017, pour justifier la création de la classe exceptionnelle il a fallu ajouter la précision suivante dans l’article 3 : le grade de classe exceptionnelle donne vocation à exercer des fonctions correspondant à un niveau élevé de responsabilité, notamment des fonctions d’expertise, de pilotage, d’animation et d’évaluation des politiques publiques dans les domaines du sport, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative.

En travaillant ces statuts et ces rédactions les syndicats n’ont rien laissé au hasard. Ils travaillent déjà le coup d’après : l’intégration de tous les CEPJ et professeurs de sport dans le corps des CTPS.

Simple remarque qui se veut lucide. Quoiqu’on puisse penser des pratiques de la classe politique : chaque fois qu’une avancée statutaire significative a été construite depuis 40 ans, elle l’a été sous des gouvernements se réclamant de la gauche. Cette remarque n’est pas anodine car le syndicalisme – même dans l’indépendance politique – se doit de travailler les débouchés politiques de ses revendications pour prétendre à une certaine efficacité. Certes il existe des syndicalismes d’opposition frontale mais il faut être plus qu’optimiste pour rêver de « grand soir » aujourd’hui.

2017 : la modification des statuts de CEPJ et professeurs de sport

Parallèlement à la revalorisation globale des carrières des enseignants (liée au dispositif parcours professionnels, carrières, rémunérations) les syndicats représentatifs en CAP ont été conviés de 2015 à 2017 à de multiples rencontres de travail avec la DRH des ministères sociaux, et les directions métier de Jeunesse et Sports. Sur demande d’EPA -avec accord des autres syndicats – ces réunions ont toujours associé le Sport et le versant JEP. Le but recherché par les syndicats était de travailler sur les missions et fonctions statutaires pour les articuler enfin avec celles des CTPS de 2004 ! L’objectif syndical était de renouer avec des fonctions précisées puisqu’elles avaient disparu en 1985 au moment de la création des corps de titulaires.

Le SEJS-UNSA a beaucoup joué en lobbying direct avec la DRH et les directions métiers sur le concours des PTP aux missions de contrôles des accueils collectif s de mineurs. Finalement les propositions de rédaction statutaires seront issues de concertations principalement entre le SNAPS, le SEP et EPA. Le SNEP-FSU à l’époque suivait EPA sur ses propositions. Mais la fracture interne à la FSU était en gestation. le SNPJS sera aussi sollicité pour en particulier poursuivre la discussion avec la DJEPVA sur les spécialités. Pour les CEPJ le décret 85-721 est ainsi modifié :

Article 3 Dans le domaine de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, les conseillers d’éducation populaire et de jeunesse :

1° Exercent, dans leur champ de compétence éducative, tel qu’il est défini par arrêté des ministres chargés de la jeunesse et des sports, des missions techniques et pédagogiques ;

2° Contribuent à la mise en œuvre et à l’expertise des politiques publiques ;

3° Assurent des missions de formation, de certification, de conseil, d’expérimentation, de recherche et d’étude ainsi que la conduite de projets au service de l’action publique ministérielle ou interministérielle ;

4° Participent, dans le cadre de leurs missions techniques et pédagogiques, à l’évaluation, à l’amélioration de la qualité éducative et à la sécurisation des pratiques éducatives et de formation.

À ce titre, ils sont affectés et exercent leurs fonctions dans les services de l’Etat et dans les établissements relevant des ministres chargés de la jeunesse et des sports.

Là encore tout a été pesé. Les syndicats JEP n’ont pas nié la contribution des CEPJ à la sécurisation des pratiques éducatives et de formation. Il s’agit là d’une mission de l’État. Mais ce n’est pas là la mission de contrôle. C’est bien plus subtil. C’est un travail en amont, en aval des formations ou séjours. EPA avait déjà travaillé avec le SNAPS la formulation trouvée pour les professeurs de sports. L’idée d’EPA – dans sa logique multi catégorielle était d’utiliser des formulations voisines, faciles à superposer entre professeurs de sport et CEPJ sans pour autant confondre les deux métiers et les deux domaines.

Comparons avec les missions et fonctions des professeurs de sport qu’ils ont voulu plus ramassées : « Ils concourent notamment à la mise en œuvre et à l’expertise des politiques publiques en matière d’activités physiques et sportives, à la promotion de la pratique sportive et de l’emploi associatif dans le domaine du sport, au développement du sport de haut niveau, à la formation, à la certification, aux études et aux recherches concernant les métiers du sport. Ils participent également aux actions qui promeuvent la sécurité des pratiquants et la qualité pédagogique des activités proposées ». Le cadre professionnel des professeurs de sport est moins finement bordé que celui des CEPJ.

Avec cet article 3 de 2017 les CEPJ ont des missions et fonctions qui rejoignent celles des CTP des années 60 dans le positionnement professionnel. Mais une chose fondamentale avait disparu : la référence aux spécialités. Lors du CTM Jeunesse et Sports donnant avis sur la révision des statuts EPA a expliqué son vote favorable à la condition qu’un engagement soit pris pour réintroduire les spécialités dans le décret statutaire. La DJEPVA s’y est engagée. Tout le monde semblait surpris de la suppression de toute référence aux spécialités qui n’avait jamais été évoquée lors des discussions. Le SEP et EPA ont subodoré que cette disparition avait dû s’opérer volontairement ou non du côté de la DRH de la DRH des ministères sociaux et de sa transmission à la DGAFP !

En accord avec la DJEPVA le chantier sur de nouvelles spécialités sera conduit pendant deux ans avec tous les syndicats sauf Solidaires, qui ne se signalera jamais, et quasiment sans la CFDT, plus que réservée sur la notion de spécialité. Les spécialités sont désormais réintroduites dans le statut des CEPJ. Non pas pour racornir l’espace professionnel des CEPJ mais pour tout au contraire mieux asseoir des capacités d’expertise et d’accompagnement de publics. La spécialité sert la qualité du service public. Plus un CEPJ est reconnu dans sa compétence moins il est corvéable et plus on est en mesure de le respecter.

Dans toute la phase qui a précédé le retour à l’Éducation nationale l’action syndicale a enregistré des améliorations statutaires et salariales significatives. Le paradoxe est cependant que le gouvernement actuel a décidé avec une brutalité imposée par l’Elysée d’ignorer et dénaturer les métiers des PTP. Il impose le service national universel comme une priorité. ce dispositif ne relève pas du Code de l’Education mais de la Défense nationale. Il dégrade un service civique déjà loin d’être satisfaisant, qui lui aussi relève de la Défense nationale. Il transforme les CAS et CEPJ des SDJES en contrôleurs d’accueil collectifs de mineurs. Il impose des conditions de travail ou le « reporting » et les présences au bureau deviennent cardinales. Nombreux sont les CEPJ aujourd’hui qui se demandent si leur métier relève toujours d’une mission éducatrice et de l’éducation populaire tant le formatage des jeunesses est à l’ordre du jour. La formation initiale dispensée par le CREPS de Poitiers, reconduit dans son marché public, est devenue un outil de conformation administrative tellement décalé par rapport au métier qu’elle oublie le principe fondamental selon lequel dans la phase de formation initiale c’est l’État employeur qui doit un service à ses salariés. Il doit tout mettre en œuvre pour respecter le statut des salariés dans une fonction publique de carrière. Le tsunami ultralibéral et la technostructure sont en train de tuer l’esprit de la Loi. Les capitulations ne peuvent que les y aider.

Arrivé au terme de cette présentation historique qui croise des fragments de grande Histoire à notre petite histoire syndicale et collective, expliquant d’où viennent les textes qui régissent les CEPJ aujourd’hui, finissons comme nous avons commencé en évoquant Albert Camus.

« Toutes les grandes actions et toutes les grandes pensées ont un début ridicule. Les grandes œuvres naissent souvent au coin d’une rue ou dans la porte tournante d’un restaurant. »

C’est ici un peu le cas de notre histoire collective, liée à une volonté politique de mission publique d’État permanente.

Alors que cette université d’automne est symptomatique d’un malaise que nos syndicats veulent dépasser cette autre phrase d’Albert Camus s’impose :

« Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. »