Déclaration EPA/FSU CTM 14/02/18

C’était il y a longtemps, très longtemps. C’est très vieux : probablement aussi démodé qu’une ordonnance de 45, peut-être même plus. Sous les toiles d’araignées existait un ministère de la « jeunesse et des sports ». En ce temps-là, il y avait l’éducation nationale. Solaire, elle trônait au cœur du système scolaire, avec autour des petites planètes qui tournaient sans pour autant être rondes. En tant que planète, « jeunesse et sports » hésitait entre la planète sans forme façon Shadok ou la planète « planche qui penche » façon Gibi. Sans forme spéciale, la planète JS en changeait en fonction des ministres et gouvernements. Ce n’était pas confortable pour les habitants permanents du ministère mais être en mouvement, comme en marche, est une question d’équilibre à conserver. La culture du match à jouer entretient une faculté d’adaptation. Elle a renvoyé plus d’un collègue à la devise selon laquelle si on ne sait pas où aller, autant s’y rendre le plus vite possible, sauf si c’est à la morgue. Ce mini-stère ne coutait pas cher. Souvent sans moyen il regardait dans les poches des voisins.

Mais un jour, pour punir les fonctionnaires, le Ciel, L’Elysée en sa fureur, inventa la RGPP puisqu’il faut l’appeler par son nom. Le modèle libéral de la perfide Albion devait sans coup férir remplir l’Achéron au nom de la dette publique, de sa petite musique, et de sa réduction, en sociale cohésion. Et comme c’est en forgeant qu’on devient musicien, la MAP a poursuivi le salmigondis interministériel de DRD en DDI et la planète « jeunesse et sports » s’est rétrécie.

Une des plus graves maladies du cerveau consiste parfois à réfléchir ; surtout sous certains régimes uniques à penser. Comme nous sommes en démocratie, risquons-nous. Aujourd’hui la météo libérale est toujours au beau fixe. Autrefois servis, les salaires sont désormais décernés et voués au mérite. La Performance et l’Excellence en concurrence sont les deux mamelles de la France. Le modèle de la Réussite est en formule induite : je grandis, j’ose, je grandiose. Être sur le podium, femme ou homme, c’est le summum. Réussir est une hantise : faire qu’en tout nouveau-né, veille un premier de cordée. Le tour sera joué, la vie épanouie.

Dieu que la guerre économique est jolie ! Que l’exploit individuel ennoblit.

Aujourd’hui, malgré des discours lumineux, les tenants de notre République ne font pas mieux que leurs récents prédécesseurs. À la veille de la dernière période électorale, le 7 décembre 2016, j’avais osé dire ici, au cabinet du ministre, en évoquant la déception ambiante : on n’est jamais aussi bien battu que par soi-même. Proverbe Shadok dont je suis friand. Je crains, aujourd’hui, que l’histoire bégaie. Être un professionnel de l’éducation populaire, avant d’être un syndicaliste, être impliqué dans la société civile organisée, requiert de l’observation, de l’échange et de l’analyse, auprès de ceux qui réussissent comme auprès de ceux qui peinent, s’enlisent dans l’existence, voire de ceux qui s’éteignent dans l’occultation d’un EHPAD. Ces propos sont basés sur la vraie vie, sur l’observation. Ils ne relèvent pas d’une grille de lecture hermétique au changement, mais d’un désarroi sincère.

Jusqu’à ces dernières semaines, notre syndicat a voulu opter pour l’empathie. Nous avons voulu jouer une partition sinon candide, du moins innocente de toute intention négative. Nous le voulions en dépit du scénario moulé pour CAP 2022, malgré les déclarations présidentielles de l’automne 2017 voulant revoir en profondeur la gouvernance et l’organisation du sport français dans le cadre de l’organisation et de la préparation des JO 2024. Mais comment poursuivre dans la candeur à la lecture de tout ce qui désormais filtre et remet en cause la vocation du sport « service public » à l’origine des lois Mazeaud, Avice, Buffet et même du récent Code du Sport.

Les JO 2024 sonnent comme l’opportunité du changement. En raisonnement Shadok, syndical de base il est vrai, la notion de passoire est indépendante de la notion de trou. J’y reviendrai. En raisonnement Gibi managérial, programmé pour revoir la gouvernance du sport à la faveur de l’attribution des JO, on réussit le tour de force de faire qu’avec un escalier prévu pour la montée on parvienne à monter plus bas qu’on ne serait descendu avec un escalier prévu pour la descente. L’important c’est le changement. Il se suffit à lui-même. Interrogée aux JO de Pyeongchang la ministre des sports dresse ce constat : ça fait 50 ans que le modèle français n’a pas été réformé. Elle n’en dit pas plus. Elle ne dit pas que le modèle est mauvais, simplement has been. Le fait d’avoir 50 ans rend donc obsolète par essence. Mais si on reprend les écrits et déclarations on voit bien qu’il s’agit moins d’obsolescence décrétée que de volonté d’en finir avec un système délégataire de l’Etat. Logique RGPP oblige. L’objectif est d’orienter une large part du sport professionnel vers les marchés, les cotations boursières et le monde de l’entreprise. Le soutien au sport pour tous relèverait plus des collectivités. L’aveu de certains dirigeants du CNOSF est cinglant : dépossédé de sa mission pédagogique le ministère des sports doit assumer désormais sa part de RGPP, confinée au règlementaire et au contrôle. Il a six mois pour le faire. La concertation est menée au pas de charge avec un simulacre de six séminaires qui vont déboucher sur des propositions de nouvelle loi nous mettant en ordre de marche pour les JO 2024. Mais au-delà des formules de responsabilisation et de confiance nous sommes en marche certes, vers la privatisation du modèle sportif français. Ces séminaires, écartant soigneusement es qualité toute présence syndicale des agents du ministère, correspond à une doxa libérale assumée où tout va toujours dans le même sens. Reprenons la notion de passoire et la notion de trou. Considérons – c’est une image – que les personnels « jeunesse et sports » sont à filtrer, un peu comme des nouilles dans de l’eau minérale libérale, dans un projet de gouvernance mis en agences, par exemple. Là où le Gibi managérial prendra la précaution d’organiser 6 mois de séminaires pour parvenir à ses fins, le Shadok technocrate étudiera plus prosaïquement le moyen de filtrer les nouilles et pas l’eau, en créant des trous inférieurs au diamètre de l’eau. Au diable l’absurde, l’essentiel c’est de filtrer et d’écarter.

Autre exemple de candeur syndicale : le travail de qualité mené avec la DJEPVA pour interroger l’existant des programmes qui servent de politique publique d’Etat. Dès l’origine, aucun syndicaliste, pas même un fonctionnaire, ne se fait d’illusion : on ne va pas définir la politique publique à la place du ministre. Nous jouons notre partition pour tenter de donner consistance à un positionnement lisible de l’Etat au croisement des politiques territoriales. Nous y portons une logique « métier » articulée à celles d’autres agents et décideurs publics. La surenchère autour des emplois n’est pas de mise, on n’évoque pas une seconde la capacité de maintenir un maillage territorial défaillant dilué dans l’interministériel où tout le monde sert à tout et au final à rien de ce qui participe de la permanence de qualité d’expertise. Depuis trois mois les syndicats s’ajustent, la DJEPVA s’investit sous le regard d’un bureau de DRH attentif. On en vient au constat partagé du caractère insatisfaisant des programmes ministériels frappés de tombomanie récurrente. Même la DNO n’a pas résisté à ce virus d’une propension intime administrative répondant à une loi universelle : gravité = tombomanie. D’un commun accord il est donc acquis d’envisager une nouvelle manière d’élaborer la politique publique DJEPVA, plus en lien avec les territoires. Nous osons prudemment avancer cette idée en direction du cabinet du ministre. Patatras ! La réponse est stupéfiante, accrochée à des dispositifs disparates, des indicateurs de performance lolfique ignorants du sens des missions. C’est consternant. Qui trompe qui ?

Nous prenons l’eau de partout et les retards inouïs pris dans la déclinaison PPCR aggravent le malaise. Le contexte est tellement défavorable que nous avons désormais le sentiment que les réflexions Bouchout/Oudot sont des moments d’intelligence qui détournent notre attention de la disparition programmée concoctée en coulisses.

Depuis plus d’un demi-siècle les personnels « jeunesse et sports » ont pompé avec parfois le sentiment d’efficacité. D’autres fois, comme, un shadok ordinaire, on pompait pour rien. Il y a des périodes politiques où on pompait et plus on pompait plus il n’y avait rien qui se passait. Au final c’était quand même une sécurité. On sauvegardait le service public. Aujourd’hui au bout des promesses et discours du Pouvoir on a le mérite imprimé du coup de pied de dégagement à l’arrière du pantalon. On arrive à la fin du film. Et forcément la facture sera politique au sens large. Comme toujours.

 

Didier HUDE