Pour une mission d’éducation populaire de l’Etat

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Depuis ses origines, le département ministériel chargé de la jeunesse (souvent sous l’appellation « de la jeunesse et des sports ») a pour caractéristique d’inscrire ses missions dans un domaine de compétences partagées entre l’Etat et les mouvements associatifs d’abord, en particulier pour ce qui concerne la jeunesse, les mouvements de jeunesse et les grandes fédérations de jeunesse et d’éducation populaire, puis avec les collectivités territoriales.

La volonté politique de remettre en cause la place de l’Etat, de reconsidérer ses prérogatives et son positionnement face à ses interlocuteurs vient modifier en profondeur son rôle et ses missions. La révision générale des politiques publiques (RGPP) et sa déclinaison territoriale (REATE) imposent de profondes restructurations.

Les niveaux d’intervention régionaux et départementaux (interministériels désormais) vont avoir à trouver de nouvelles articulations, à garantir des cohérences exposant les personnels, leurs statuts et leurs missions aux mutations recherchées par la RGPP. Ce contexte est également caractérisé par des suppressions d’emplois venant nécessairement réduire les moyens d’intervention des politiques publiques nationales. Dans le champ de la « cohésion sociale », le transfert des politiques de santé aux agences régionales de la santé (ARS), recentre les compétences sur l’action sociale, le sport, les questions de jeunesse, de vie associative et d’éducation populaire.

Le remaniement ministériel du 22 mars en créant un ministère de la jeunesse et des solidarités actives renforce le poids donné à ce champ d’intervention. Concernant la mission éducatrice de l’Etat, la référence à l’éducation populaire, pour être crédible, ne doit pas se résumer à un effet d’affichage. La démarche doit être identifiée et reconnue dans son aspect éducatif tout au long de la vie.

Nous refusons l’idée que l’Etat puisse envisager, sous différents prétextes, de se départir d’un aspect de sa mission éducatrice (l’éducation populaire) pour décider de ne maintenir de ses misions que l’aspect régalien en abandonnant la totalité des aspects techniques et pédagogiques au profit d’autres opérateurs publics ou privés.

Partant de la réalité qui aujourd’hui rend difficile l’inscription concrète de l’éducation populaire dans les pratiques, nous voulons, pour garantir l’avenir, interroger le comment et le pourquoi de l’éducation populaire comme mission d’Etat et nous demander qui sont les agents qui doivent la mener.

Une partie annexe présentera de manière succincte l’histoire et les enjeux de l’éducation populaire.

A) Le choix d’une intervention spécifique de l’Etat dans le champ de l’éducation populaire

a) la mission d’éducation populaire à ce jour

Aujourd’hui l’avènement du concept de cohésion sociale (dégageant peu de sens) tente de faire se réunir deux conceptions parfois divergentes de l’éducation populaire : l’une dans son instrumentation relevant de l’accompagnement social, l’autre dans son acception éducative tout au long de la vie. Ainsi, on peut continuer à se référer à la démarche d’éducation populaire (l’appellation n’est pas bannie) mais on ne peut plus la mettre en œuvre ou l’accompagner en tant qu’agent de l’Etat. On peut continuer à se référer à la mission d’éducation mais dans les faits il n’y a plus rien qui se rapporte vraiment à l’éducatif, sinon un vocabulaire emprunté pour l’occasion. Cela relève de l’oxymore. L’essentiel administratif repose sur du pilotage de dispositifs protéiformes, de l’observation, de la réglementation et de la représentation. On peut même envisager, au nom d’un discours volontariste tenu sur l’homogénéisation des pratiques, que l’éducation populaire devienne fongible dans la cohésion et la réparation sociale. Ce scénario est d’autant plus envisageable que l’action sociale se décline en programmes concrets, dispositifs et agrégats « lolfiques » précis, alors que l’éducation populaire a une lisibilité institutionnelle plus délicate Dans cette logique on peut imaginer à court terme un rapprochement statutaire santé/jeunesse où l’éducatif ne serait qu’une portion congrue au détour d’un discours de posture. Le danger d’une telle dérive est de tout réduire à la réparation sociale, considérant que la cohésion sociale suppose le respect de règle et l’inscription dans une norme et qu’il est indispensable de faire rentrer dans cette normalité, ceux qui pour des raisons sociales, culturelles, ethniques… sont à la marge ou en dehors. Or, si elle ne nie pas les difficultés vécues au quotidien et dans différents domaines, l’éducation populaire postule que chacun a quelque chose à apporter au débat collectif et à la transformation sociale, que la réflexion et l’action se nourrissent de la richesse et des apports de tous. Il s’agit avant tout de transformer collectivement la société afin qu’elle soit plus humaine et que chacun y ait une place choisie et construite et non de réparer des comportements marginaux pour qu’ils entrent dans une norme imposée.

b) l’éducation populaire reconnue au sein du ministère de la jeunesse et des solidarités actives

Créant, après un Haut commissaire à la jeunesse rattaché au Premier ministre, un ministère de la jeunesse de plein exercice, le Président de la République et son Premier ministre renforce ce champ d’intervention de l’Etat. Cette décision peut être lue comme la réaffirmation du rôle actif de l’Etat à conduire une politique publique ambitieuse dans ce secteur. S’ils ont reconnu ainsi une part importante d’autonomie pour la définition d’une politique publique en matière de jeunesse, d’éducation populaire et de vie associative, ils doivent lui en donner les moyens en termes de missions et moyens financiers et humains.

Les circulaires de février et décembre 2009 signées du Haut commissaire, faisant référence à l’éducation populaire et à la mission d’éducation ont été reçues comme un signal positif. Il faudra leur adjoindre des textes confortant ces orientations et approfondissant leurs modalités de déclinaison.

Il s’agit dans cette hypothèse d’aller au bout d’une ambition politique et de renouer avec la conscience humaniste à l’origine de l’ex ministère de la jeunesse et des sports. Pour autant, il ne s’agit pas de refaire le passé. Il convient de redéfinir comment s’exerce cette mission et de faire évoluer la gestion des personnels techniques et pédagogiques du secteur (CTP, ChEPJ, CEPJ, CTPS JEP) placés sous l’autorité du ministre ayant charge de l’éducation tout au long de la vie. Il en va d’une question fondamentale de cohérence, y compris de maîtrise politique et de comptabilité publique. Cela est possible avec un projet politique affirmé s’appuyant sur la conception d’une véritable action éducative de l’Etat, fondée sur l’idée que celui ci est le seul à pouvoir assurer l’égalité de traitement de l’ensemble des citoyens, la solidarité entre les territoires, et l’inscription dans la pérennité des actions, des démarches et des objectifs.

B) Comment décliner la mission d’éducation populaire de l’Etat ?

Ce positionnement s’inscrit dans une dynamique qui prend en compte à la fois l’évolution des besoins de la société actuelle, les transformations du paysage institutionnel et sait se projeter dans la construction d’un monde plus juste, plus solidaire, plus humain.

a) Jeunesse ? Education populaire ? Vie associative ?

Le débat est permanent mais nous revendiquons l’éducation populaire en ce qu’elle porte à la fois une finalité (l’émancipation individuelle et collective de tous et la transformation sociale) et qu’elle suppose une démarche et des outils (travail sur la conscience critique et active pour comprendre le monde, agir sur sa transformation à l’aide d’outils basés sur une pédagogie participative).

La vie associative est un espace d’apprentissage et d’expérimentation démocratique. Elle est donc par nature un moyen privilégié de mettre en œuvre les principes et les démarches d’éducation populaire.

La jeunesse n’est pas un âge, mais un passage. La caractéristique des jeunes est d’être en devenir d’autonomie dans la vie active, citoyenne, sociale, culturelle… L’éducation populaire s’adressant à tous, elle doit savoir construire des réponses adaptées à cette étape particulière de la vie. Elle propose un processus qui ne les enferme pas dans la catégorie particulière et un statut de « jeune » (jeunisme). Son objectif est de permettre à chacun de trouver et de construire sa place dans une société multi générationnelle où les statuts de chaque génération et statuts sociaux sont soumis à mutations.

b) Rôle et missions permanentes de l’Etat en matière de politiques publiques EPJVA

  • Mettre en synergie des démarches d’éducation populaire sur un même territoire, dans un bassin de vie et d’activité… Bien souvent, seul l’Etat a la capacité de réunir et de faire travailler ensemble dans un rapport de partenariat, et non de subordination, les différents acteurs d’un territoire (associations, collectivités, groupes et collectifs…). Sans dénier la légitimité politique des collectivités en matière d’action sociale et culturelle, voire éducative pour certains pans d’intervention, les agents de l’Etat ont l’avantage d’être dans un rôle « régulateur » qui permet une certaine mise à distance d’approches parfois politiciennes ou clientélistes. Dans une société attachée à la démocratie, une mise à distance est indispensable pour garantir des franchises nécessaires en matière de création et d’action culturelle, éducative et pour une part, sociale.
  • Initier des démarches d’éducation populaire pour faire émerger des projets de développement social, c’est à dire une construction harmonieuse entre le développement d’un territoire dans toutes ses dimensions (économique, sociale, culturelle …) et la prise en compte de l’épanouissement et l’émancipation de ses habitants (participation à la vie citoyenne, accès à la culture, aux soins, à l’éducation, qualité de vie,…) tout particulièrement dans les territoires dans lesquels une telle synergie ne peut être trouvée localement (territoires pauvres, enclavés, éclatés, tensions entre les acteurs, manque de ressources, faiblesse du tissu associatif…). Sans se substituer aux pouvoirs publics locaux il s’agit de permettre les conditions de l’émergence d’un projet commun en apportant une expertise et des moyens. Cela est particulièrement nécessaire dans l’aide aux projets collectifs et dans le développement de projets artistiques, culturels et scientifiques, dans les formations aux mises en délibérations citoyennes précédant les arbitrages politiques.
  • Former à la démarche et aux outils de l’éducation populaire des « démultiplicateurs », des « passeurs » qui pourront à leur tour, là où ils agissent, produire des initiatives, susciter des relais, fédérer des projets, favoriser les débats et la participation. En accompagnant concrètement des acteurs sociaux, il s’agit ici d’être dans un rôle fédérateur, respectueux mais dégagé des idéologies légitimes portées par les associations et préservé des possibles pressions politiques locales. Dans ces actions d’accompagnement protéiformes (stages, séminaires, forums….) les conseillers d’éducation populaire de l’Etat ouvrent des possibilités de formation qualifiante qui s’adressent autant aux bénévoles qu’aux professionnels, aux habitants, qu’aux élus ou aux responsables associatifs. Elles permettent de créer des cultures communes et un sens partagé de l’action.
  • Construire des processus formatifs et expérimenter de nouvelles approches répondant davantage aux modes de vie, d’engagement et de participation d’aujourd’hui, s’appuyant en particulier sur les évolutions technologiques, les attentes des populations, les nouveaux enjeux sociétaux. Favoriser et permettre l’évaluation partagée, participe d’une pédagogie visant à la prise d’autonomie des citoyens. Ce « tutorat pédagogique » n’a pas vocation à être permanent. Les CEPJ, en tant qu’agents de l’Etat inscrits dans l’action éducative, sont à la fois en situation d’ingénierie de formation et acteurs de formation. Ils doivent aussi être garants d’une évaluation partagée. Les outils de diagnostic relèvent moins en éducation populaire d’une observation extérieure que d’un protocole commun d’analyse où chaque partie prenante doit s’exprimer. Construire des projets et des démarches de démocratie participative, d’éducation aux médias, de développement durable, d’économie sociale et solidaire, de démocratie culturelle, de pratiques physiques et sportives de loisirs, sont autant d’enjeux qui se posent de manière cruciale aujourd’hui. Sans en être obligatoirement à l’origine, l’Etat se doit d’accompagner les initiatives et les expérimentations qui se conduisent dans ces domaines afin de pouvoir engranger, tirer enseignement d’expérience, réutiliser et mutualiser leurs résultats …

Ces lignes de forces de l’action publique d’Etat relèvent d’une certaine conception de l’ingénierie sociale appliquée à l’action éducatrice tout au long de la vie. Elle n’a pas vocation première à « réparer » ou « intégrer » mais à « acquérir » pour « délibérer » et « agir ». Nous sommes au cœur d’une mission de service public où l’Etat fait le pari d’une intelligence (dans tous les sens du terme) construisant le sentiment d’appartenance à une population, un pays, un monde en perpétuelle évolution, supposant pour qu’on y participe d’interroger sa propre vie.

C) Un métier JEPVA à refonder

Au-delà des appréciations que le SEP-UNSA et EPA-FSU peuvent porter, en tant que syndicats représentatifs des personnels techniques et pédagogiques de jeunesse et d’éducation populaire, sur la politique gouvernementale décidée dans notre secteur, il nous appartient de prendre en considération globalement le nouveau contexte créé dans le cadre de la réforme de l’Etat. L’amorce d’autonomie JEPVA, pour perdurer, doit porter des ambitions et doit être lisible sur le plan de la reconnaissance des statuts et métiers des personnels qui nourrissent l’action publique. Le vaste chantier ouvert par la RGPP – quoiqu’on pense de cette dernière – va inévitablement déboucher sur la fusion de corps de fonctionnaires. Nous estimons urgent d’aller vers la revalorisation statutaire des personnels techniques et pédagogiques et nous sommes favorables à une mise à plat tant des conditions de recrutements, que des statuts actuels. Nous ne sommes pas sur le statu quo mais nous ne sommes pas pour brader et sacrifier la dimension technique et pédagogique statutaire.

Pour être viable le futur corps statutaire des conseillers techniques et pédagogiques d’éducation populaire doit unifier les deux corps actifs actuels des CTPS et des CEPJ. Il doit avoir un volume d’emploi suffisant pour lui assurer une pérennité. Cette dernière suppose d’avoir une lisibilité et une autonomie de gestion pleine et entière ne renvoyant pas à une administration tiers des compétences de gestion administrative trop souvent oublieuse des missions, statuts et métiers.

a) Unifier le statut

L’histoire a en effet multiplié les statuts sans qu’une volonté politique récente ne permette de les harmoniser et de les actualiser.

La titularisation des maîtres auxiliaires et des CTP contractuels (dont il demeure quelques éléments) en 1985 s’est faite sur deux corps : les ChEPJ et les CEPJ. Tout de suite mis en extinction, le corps des ChEPJ ne compte plus qu’une vingtaine d’unités. Ces collègues se voient interdits de tout accès à la classe exceptionnelle et ils n’ont aucune perspective d’accueil dans le corps actif au vu de ratios insuffisants depuis la mise en place de la LOLF.

La refonte du statut des CEPJ bien qu’ayant fait l’objet de négociations et d’accords successifs avec les cabinets de Marie-George Buffet puis de Luc Ferry, n’a jamais abouti, bloquée par les cabinets des ministres de la jeunesse et des sports qui ont suivi.

Le corps de CTPS est celui dont les missions sont les plus élaborées, mais le peu de collègues JEPVA appartenant à ce corps et surtout la faiblesse des taux de passage ne permet pas d’en faire un corps de « débouché » attractif. De surcroît, faute d’un positionnement lucide intégrant le fait que ce corps dit supérieur ne place pas en position hiérarchique les CTPS par rapport aux CEPJ, on peut vérifier certaines des tensions au sein des services entre des agents qui exercent des missions identiques mais sont payés sur des grilles de rémunération très différentes.

Ainsi aujourd’hui la situation des quelques 650 agents JEPVA en poste sous l’autorité du Haut commissaire est dans une impasse :

– les ChEPJ sont sans débouché, leur faible nombre bloquant l’accès à la classe exceptionnelle et ne pouvant, statutairement, être intégrés CTPS ;

– aux dires de l’administration, le concours CEPJ apparaît comme de plus en plus lourd et difficile à mettre en œuvre et en fait l’un des concours les plus exigeants de la fonction publique d’Etat ;

– l’accès de 5 à 6 collègues par an au corps des CTPS, ne laisse envisager aucune évolution satisfaisante. Pire, ce corps perd d’année en année des effectifs depuis sa création récente.

Il faut ajouter à cela que si l’ensemble des missions des personnels JEPVA peut se retrouver séparément dans différents métiers du RIME, aucune fiche ne correspond en totalité à l’ensemble des missions des corps spécifiques JEPVA. Enfin, la circulaire de 1993 relative à l’exercice de ces missions dans les services nécessite d’être respectée dans ses principes et actualisée.

Les organisations syndicales signataires de cette déclaration se déclarent prêtes à participer à une réflexion donnant de l’avenir aux missions et personnels d’Etat de jeunesse et d’éducation populaire. Le contexte actuel peut apparaître propice à l’élaboration d’un corps unique JEPVA :

  • Intégrant selon un schéma négocié dans un nouveau corps unique de catégorie A+, l’ensemble des collègues titulaires des trois corps actuels qui pourront être mis en extinction (ChEPJ, CEPJ, CTPS JEP),
  • permettant une véritable reconnaissance et évolution de carrière pour tous par la construction d’une nouvelle grille indiciaire (reprenant pour base, celle des actuels CTPS) revalorisant tous les échelons et donnant accès à l’échelle lettre A,
  • reconnaissant les missions techniques et pédagogiques et leur donnant les moyens d’être exercées (travail sur les territoires, gestion annualisée du temps de travail, article 10 de la loi sur l’ARTT)
  • élaborant de nouvelles conditions de recrutement et de formation initiale
  • supprimant la notation et intégrant le passage unique d’échelon à l’instar des actuels CTPS.

b) Base de travail pour la création d’un corps unique JEPVA

Corps de catégorie A

Corps sur un déroulé de grade en 12 échelons alignés sur le corps assimilé des agrégés, allant de l’indice brut 450 pour le premier échelon au premier chevron du A pour le 12 échelon avec passage aux A2 et A3 en un an après accès au 12e échelon.

  • Missions :

Expertise, études et recherche dans les secteurs de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative

Formation et ingénierie de formation dans les secteurs de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative Conception, mise en œuvre et évaluation des politiques publiques dans ces mêmes secteurs.

  • Recrutement :

Intégration immédiate de l’ensemble des ChEPJ, CEPJ et CTPS JEP actuels

Puis concours externe, interne et 3ème voie (organisation et épreuves à définir)

5 domaines de spécialités

Niveau de recrutement master 1 puis une année de formation en alternance (centre de formation et services) : titularisation et affectation à l’issue de l’année de formation.

  • Conditions de travail
  • Contrat annuel d’objectifs
  • Décompte annuel du temps de travail en référence à l’arrêté du 28 décembre 2001 portant application du décret no 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat aux personnels affectés dans les services et établissements relevant du ministère de la jeunesse et des sports et en particulier de l’article 10 de ce décret.
  • Déplacements et travail sur les territoires (plaçant les collègues relevant des actuelles DDI comme participant d’équipes techniques et pédagogiques régionales, avec ordres de missions permanents sur la région) de l’échelon départemental à l’échelon national.

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Annexe

Éléments de contexte et d’histoire

A) Contexte : une société contrastée en profonde mutation

Une « crise » économique et financière qui se décline en une « crise » sociale débutée au début de la décennie de 1970 qui laisse à penser aujourd’hui que seule la loi du marché et de la rentabilité est opérationnelle malgré les dégâts collatéraux qu’elle induit : augmentation des formes de pauvretés et précarités, accroissement des écarts entre les riches et les pauvres, inégalités de la répartition de toutes les richesses entre les hommes, entre les territoires…

Une « crise » identitaire et culturelle marquée à la fois par l’échec de l’intégration et par celui de la démocratisation culturelle qui conduisent à l’incapacité d’inventer collectivement des modes de représentation du monde et des formes d’expression accessibles à tous.

Une « crise » des savoirs et de l’éducation dans un contexte de développement et de l’allongement de la scolarité qui renvoie à la limite qu’il y a à tout faire reposer sur l’Ecole et interroge toutes les formes de coéducation et d’éducation tout au long de la vie.

Une « crise » de l’information et de la communication. Dans le même temps, « le monde est devenu notre village » et notre voisin nous est devenu un étranger. Les données d’informations sont multiples mais leur tri est difficile. Le « paraître », le « médiatique » ont tendance à remplacer ou à être davantage valorisés que  «l’être » ou le « faire », sans pour autant que soit analysé, aidé et accompagné l’acte de communiquer.

Une « crise » de la démocratie et particulièrement dans son acception de représentativité. Pour autant la démocratie participative est en difficulté pour inventer des modes de fonctionnement satisfaisant qui ne soient pas d’autres formes de délégation.

Chacune de ces « crises » produit ses victimes, souvent les plus « démunis » qui ne sont pas obligatoirement tous concernés par chacune d’elles mais dont certains en subissent les effets cumulés ce qui rend leur situation plus critique. Être « jeune » ne prémunit pas contre les difficultés d’adaptation à un monde générant de l’exclusion. Dans toute génération « entrante » de manière autonome dans la vie active, sentimentale, citoyenne…, des jeunes de toutes origines n’ont souvent pas la possibilité de s’inscrire dans les processus proposés par les générations précédentes, ni les outils pour en proposer et en construire d’autres.

B) Un vivre ensemble difficile à construire

Dans ce contexte la notion de « vivre ensemble » apparaît comme un objectif difficile à atteindre. La crainte du lendemain favorise un premier réflexe de repli sur soi qu’il est souvent difficile de dépasser pour le transformer en démarche de solidarité. Cela est d’’autant plus fort dans un monde de compétition et de pénurie car « l’autre » peut être perçu comme un concurrent potentiel, un adversaire, un danger et non comme un soutien, un partenaire. L’absence d’identité partagée et de culture commune tend à multiplier l’isolement et le renfermement dans des « entre soi » avec ceux qui nous ressemblent le plus. Cela conduit à la ghettoïsation et au communautarisme qui peuvent favoriser l’intégrisme.

La « chose publique » est rarement présentée et vécue comme un bien collectif partagé capable de mobiliser les énergies, les compétences, la créativité de tous. Les citoyens n’ont pas de cause commune. Et la société est davantage vécue comme un système immuable dont il faut corriger ou minimiser les dysfonctionnements que comme un mouvement dont nous sommes tous acteurs.

La synonymie forcée entre « cohésion sociale » et « vivre ensemble » est assez révélatrice de cette confusion, puisque la première notion renvoie à l’idée d’ordre établi, d’uniformité, de normativité , alors que le second suggère la diversité, le débat, l’acceptation et l’identification des conflits pour pouvoir les résoudre.

« Cohésion sociale » et « éducation populaire » relèvent de démarches et préoccupations différentes. On peut penser leur complémentarité, travailler des points de jonction, mais à la condition de ne pas les confondre dans un nouveau concept totalisant. La « cohésion sociale » relève principalement du travail social avec des logiques de publics cibles. L’éducation populaire s’adresse à tous. Elle met l’homme et le citoyen au cœur de la société, capable de co-construire avec les autres, son propre modèle de société dans une visée d’émancipation individuelle et collective.

C) Un besoin d’éducation populaire

La paternité mythique de l’éducation populaire est généralement attribuée à Condorcet, parce qu’il est le premier à avoir écrit et déclaré publiquement la nécessité d’une instruction qui dépasse le seul cadre de l’enfance, c’est à dire qui soit aussi l’autoformation, le développement de l’esprit critique, un apprentissage actif en prise avec la réalité, à partir de supports (bibliothèques, conférences, cours, débats…) pour une éducation de tous « tout au long de la vie »… Pour autant, le développement de l’éducation populaire se fait réellement en France dans la seconde moitié du XIXème siècle. Elle accompagne la création de l’école publique en proposant d’autres modes opératoires. C’est une période de profonde mutation. La République se cherche et les citoyens qui acquièrent le suffrage universel ont besoin d’être éclairés. La révolution industrielle vide les campagnes et entasse toute une population pauvre et déracinée dans des quartiers insalubres des villes. L’école tente de se soustraire de la tutelle de la religion dans un processus de laïcisation de la sphère publique. C’est dans ce contexte que l’éducation populaire apporte des pistes de réponses adaptées et novatrices dans une double dimension éducative (apprendre de manière active et participative, porter un esprit critique sur les vérités assénées, se former collectivement et en tant qu’adulte…) et politique (développer le libre arbitre des citoyens pour qu’ils soient capables de s’exprimer et d’agir et ainsi transformer la société…)

Au sortir de la seconde guerre mondiale, la direction de l’éducation populaire sera créée, au sein du ministère de l’éducation nationale. Sa direction en sera confiée à Jean Guéhéno. Elle répondait à la volonté politique de ne pas voir se répéter les barbaries en faisant reculer les ignorances, en instituant une éducation populaire tout au long de la vie. C’est ainsi que fut créé un corps d’instructeurs nationaux destiné à intervenir via des outils disciplinaires (principalement culturels) sur l’ensemble du territoire (en métropole et colonies de l’époque). Cette direction, réunie à celle des sports devait donner naissance au département ministériel « jeunesse et sports ». Elle était animée par des humanistes où les Gaullistes de l’époque étaient nombreux.

L’histoire ne se répète pas, mais parfois elle bégaye.

Notre société du début du XXIème siècle peine à trouver des solutions pour accompagner sa mutation sans laisser trop de monde sur le bord du chemin ou au fond du ravin et sans créer des sociétés à deux ou trois vitesses. De nombreuses expériences sont tentées, souvent avec un certain succès. Si toutes ne se revendiquent pas de l’éducation populaire beaucoup en sont proches ou issues. Elles empruntent tout ou partie de sa démarche et de ses objectifs. Dans le même temps, les mouvements historiques de l’éducation populaire sont réinterrogés dans leurs fonctionnements et cherchent à se ressourcer en actualisant leurs messages et leurs actions. La modernité et l’inventivité de l’éducation populaire permettent aux uns comme aux autres d’y puiser des réponses pour aujourd’hui.

Au delà de la satisfaction des besoins primaires (se nourrir, se loger, se vêtit, se soigner…) qui doit être prioritairement accordée à chacun, tous les aspects de la vie sont concernés par cette démarche, bien sûr l’éducation mais aussi la culture, la santé, les loisirs, la formation... Démarche d’éducation citoyenne pour tous tout au long de la vie, l’éducation populaire intègre à la fois une autre manière de concevoir la place du citoyen et un autre rapport au monde. Une approche des échanges marchands à travers l’économie sociale et solidaire celle de l’avenir de notre planète par l’éducation à l’environnement, la prise en compte des progrès techniques par l’utilisation et l’éducation à l’usage de l’informatique et des TIC, l’inscription active dans un champ culturel en pleine évolution… sont autant de vecteurs ancrés dans la réalité d’aujourd’hui de cette démarche de transmission et de participation.

Dans tous les domaines, la démarche d’éducation populaire permet à tous de voir et de découvrir, de débattre et de comprendre, de dire et d’agir. En ce sens elle peut être une réponse et nous affirmons que nous avons aujourd’hui un besoin fort d’éducation populaire. Non seulement elle n’est pas obsolète mais elle constitue un outil de transformation sociale par l’éducation non formelle.

D ) Une multiplicité d’acteurs

Comme hier, les acteurs de l’éducation populaire sont aujourd’hui multiples et divers.

a) Les associations d’éducation populaire.

Elles sont les premiers acteurs de l’éducation populaire, à la fois historiquement mais aussi en nombre et par la diversité de leurs interventions. Pour autant elles ne peuvent être réduites aux associations agrées ou patentées, membres des réseaux reconnus. Nombre d’associations mettent en œuvre la démarche d’éducation populaire sans pour autant en avoir la reconnaissance institutionnelle. Par la légitimité qu’elles ont à porter des initiatives venant des citoyens, elles n’ont aucune obligation d’approche « neutre » et peuvent à l’évidence être porteuses d’idéologies parfois contradictoires entre elles en matière d’action sociale ou de pédagogie.

La forme associative, lorsqu’elle est conduite dans l’esprit de la loi de 1901, permet l’émergence d’un véritable espace démocratique et d’un laboratoire de création et d’invention. Mais rien dans le texte même de la loi n’impose un tel processus et il nécessite souvent d’être accompagné.

b) Les collectivités territoriales

Les collectivités font-elles de l’éducation populaire ? Là encore la réalité est diverse. Certaines se sont dotées d’un service, de personnels, d’objectifs et d’outils spécifiques pour conduire une véritable politique d’éducation populaire. D’autres, la grande majorité, mènent des actions d’animation et soutiennent la vie associative.

Aucune compétence spécifique n’a été déléguée aux collectivités dans le domaine large de l’éducation (en dehors de la gestion des bâtiments scolaires) et souvent leurs services et organisations se sont construits par similitude aux départements ministériels. Néanmoins, la plupart ont développé des interventions dans le cadre de projets éducatifs locaux formalisés ou non, en mettant en place ou subventionnant des activités péri et post scolaires aux côtés des activités d’enseignement de l’éducation nationale

E) Une mission éducatrice spécifique de l’Etat

A la Libération, un consensus national s’est dégagé pour faire de l’éducation une mission partagée. Si l’idée première était d’empêcher un gouvernement totalitaire de mettre l’enfance et la jeunesse sous sa coupe, le choix n’a pas été de confier la totalité de la responsabilité aux seules familles (comme c’est par exemple le cas en Allemagne). La France a choisi une formule « triple » : une part de responsabilité confiée aux familles avec la possibilité pour l’Etat de s’y substituer en cas de manquement ou de renoncement (ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs), la responsabilité de l’enseignement à l’Etat par le renforcement d’une « éducation nationale », une possibilité d’intervention des associations agréées présentant des garanties de laïcité dans le temps des loisirs avec un double contrôle de l’Etat, l’agrément en amont, l’inspection durant les activités, mais aussi un accompagnement formatif par les instructeurs (nationaux puis régionaux recrutés dès 1945). La France s’est donc dotée d’un Etat éducateur et régulateur complémentaire à celui de l’Ecole.

Au fil des années, le rôle de l’Etat a évolué dans les textes et dans les faits. Si Le nombre des conseillers techniques et pédagogiques (CTP), descendants des instructeurs, est allé croissant jusqu’aux forts recrutements du ministère du temps libre (1981-1982). Cependant, leur spécialisation disciplinaire s’estompant, leurs missions tendent à moins être centrées sur l’intervention directe auprès des publics (groupes, habitants…). Toutefois la transmission d’outils et de démarches, la formation de relais est demeurée une constante commune à tous. La professionnalisation de l’animation débutée dans les années 1970 nécessite des formateurs capables de transmettre l’héritage de l’éducation populaire.

Les dispositifs et les découpages territoriaux se sont multipliés en particulier avec la mise en œuvre de la « politique de la ville ». Devenus fonctionnaires à partir de 1985, les conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (CEPJ) et corps assimilés sont appelés à proposer la construction de partenariats autour des programmes proposés par le département ministériel en charge de la jeunesse et des sports. En fonction des contextes locaux ou régionaux, la mission permanente de formation s’est retrouvée souvent malmenée. Le rôle formateur a eu tendance à s’estomper au profit du rôle d’animation et d’accompagnement de politiques et de dispositifs. L’interministériel est aussi à l’origine de nouveaux positionnements professionnels.

A l’exception des CEPJ dans les CREPS, l’intervention en formation se réduit progressivement à l’accompagnement des organismes formateurs (pour l’essentiel des mouvements d’éducation populaire pour qui la formation offre une opportunité de ressources non négligeable) et à la participation aux épreuves d’évaluation. Bien que maintenues dans les épreuves du concours (mais réduites à 3 ou 4 ouvertes aux candidats), les spécialités apparaissent comme des références lointaines peu connectées avec le travail demandé. La dimension pédagogique trouve encore sa possible réalisation dans l’accompagnement des acteurs (équipes d’animateurs associatives ou municipales, associations, groupe de stagiaires…), dans l’apport en formations qualifiantes sans objectif diplômant, dans la construction de supports et d’outils, dans des expérimentations…

La tentative de Marie-George BUFFET de refonder une politique d’éducation populaire n’a pas abouti pour de multiples raisons. Une sorte de divorce est consommé entre les services de l’Etat et les grands réseaux associatifs qui se vivent davantage en concurrents qu’en partenaires. Les choix politiques sur le secteur ne sont pas clairs (politique éducative et de jeunesse avec le ministère Ferry, retour ensuite à Jeunesse et Sports…) Les secrétaires d’Etat et ministres qui se succéderont semblent plus à l’aise avec la politique sportive, et le recentrage sur des publics cibles « jeunes ». Mais, la « vie associative », un temps isolée dans le ministère, et « l’éducation populaire » souffrent de manière récurrente de l’absence de réelles orientations, faute de conceptualisation suffisante. Sans pilotage, les services déconcentrés ont bâti des compromis insatisfaisants mélangeant contrôles et accompagnements pédagogiques, gestion de dispositifs et reconnaissance de domaines d’expertise spécifiques, travail administratif et autonomie d’organisation (souvent âpre à négocier) auprès des publics ou sur des territoires.

La RGPP n’ayant pas mis à plat le rôle et les missions de l’Etat, la réforme se construit sur les dérives et les dysfonctionnements précédents. Alors qu’une mission d’éducation à la citoyenneté tout au long de la vie aurait pu trouver du sens dans le choix de son rattachement à un grand ministère de l’Education ou de la Culture, le choix a été fait d’un regroupement autour du social, dans un ministère de la Santé et des Sports au périmètre et aux objectifs imprécis. La REATE conduit à la construction et aux rapprochements de structures dont le sens commun reste à vérifier sinon à inventer.

C’est dans ce nouveau contexte que nous posons la question de l’avenir d’une mission d’éducation populaire portée par l’Etat, Au vu des forces en présence et des évolutions à venir (fusion et réduction des corps, nouvelles compétences des collectivités territoriales, contexte européen….) et au regard de l’enjeu pour l’intérêt général, il s’agira, par une volonté politique, soit de refonder et conforter la mission d’éducation populaire et avec elle la « franchise éducative » qui y est associée, soit de l’abandonner au prétexte qu’elle ne saurait relever d’une compétence de l’Etat.