CHARLIE : COMPRENDRE ET AGIR SUR LES PARADIGMES

illustrationDepuis la violence ciblée et meurtrière des du 7 au 9 janvier prenant pour cibles le journalisme de caricature politique et sociale, la représentation de l’ordre républicain et des Juifs -parce qu’ils sont Juifs-, les initiatives et les interprétations des faits ne manquent pas. Les récupérations et certains amalgames s’expriment aussi. Le syndicalisme n’en sort pas indemne.

Le conseil national d’EPA, composé de professionnels de l’éducation « non formelle » par le sport et l’éducation populaire, a recherché les termes d’un positionnement ne cherchant pas à instrumenter une horreur obscurantiste, via une pensée toute faite de mandats syndicaux.

Une mondialisation injuste faite de violences aux peuples

Le recrutement de réseaux basés sur la terreur se développe principalement dans des pays frappés par une misère aux formes multiples, et des schémas de pensée totalitaire. La religion, poussée à son expression fanatique, en est un vecteur parfois autant qu’un prétexte. Le financement du terrorisme par l’argent du pétrole, les enjeux lucratifs autour d’autres énergies fossiles (gaz de schiste, nouveaux gisements pétrolifères…) ou métaux rares, et les guerres économiques parfois internes aux pays producteurs sont à comprendre et analyser. Faute de quoi, la pensée se réduira à appréhender les effets et non pas les causes des constructions monstrueuses des néo barbaries engendrées par les grandes puissances elles-mêmes dans une géopolitique qui prend les peuples en otage. Les spéculations récurrentes sur le prix du pétrole, les austérités économiques dirigées contre les populations ont des responsables oligarques russes, américains, chinois, européens, arabes… Les exactions récurrentes en Afrique subsaharienne sont à expliquer autrement que de manière lissée et factuelle. Il y a un devoir d’explication et de décryptage des complexités.

Agir sur les mécanismes mondiaux, travailler à une autre répartition des richesses respectueuse de la planète n’est pas seulement une nécessité, c’est une obligation. L’organisation et le financement d’internationales terroristes ne passent pas par le seul islam radicalisé. La dimension religieuse est d’ailleurs mouvante d’un réseau à l’autre. En outre, l’observation des recrutements djihadistes témoigne de l’utilisation de détresses qui ne sont pas toutes – loin s’en faut – liées à des scolarités inexistantes ou endoctrinées, mais à des vies sans perspectives, aux utopies détournées.

La responsabilité mondiale est énorme. De ce point de vue, la symbolique des chefs d’Etat à la manifestation de Paris le 11 janvier n’est pas forcément du meilleur effet sur des pans entiers de jeunesses irritées. Elle demeure incomprise dans certains « quartiers » dits populaires marqués par des formes de relégation et les pauvretés. De même, le port de la kipa par notre président – attendant Benyamin Netanyahou sur le parvis d’une synagogue – n’est pas un modèle de démonstration de laïcité républicaine.

L’émotion peut expliquer des maladresses mais elle ne doit pas faire impasse sur les responsabilités financières d’un monde dirigé par les profits qui font de la misère le terreau d’obscurantismes qui parcourent les réseaux sociaux désormais mondialisés.

Nés sous le signe de l’hexagone…

Bien entendu, agir sur le contexte mondial n’exonère pas d’agir en France et en Europe. Le spectre d’un Guantanamo à la Française est pour l’heure éloigné et le gouvernement français entend se donner des moyens pour renforcer les services publics de renseignements de la Police, voire d’autres éléments d’action tels des imams modérés en prison. Sur ce dernier point, sans vouloir porter appréciation sur la nécessité ou pas d’introduire la religion quelle qu’elle soit dans le monde carcéral, on peut déjà douter de la perméabilité des détenus les plus exposés à l’endoctrinement fondamentaliste. Recruter des imams modérés alors que la question de la structuration de l’islam de France, de sa relation à la laïcité et à la sphère publique, n’est pas traitée relève d’une initiative a fortement interroger.

Pour lutter contre l’amalgame, les outils de la connaissance sont à mobiliser. Ils ne consistent pas à imposer son point de vue, mais à interroger et comprendre l’existant. Qu’on soit croyant ou athée, il convient de faire un travail de vulgarisation historique, sociologique et culturel pour faire reculer les points aveugles. La compréhension de l’histoire des religions en relation avec une lecture complexe du monde et de la culture des peuples doit être examinée pour dépasser les oppositions frontales et les violences de l’ignorance. Il ne s’agit surtout pas de prosélytisme mais d’expliquer pour faire comprendre les religions. Les textes des religions dites « révélées » sont tous sujets à interprétations. Combien de citoyens sont-ils capables d’exposer les différences de pratiques et d’acception laïque entre protestants et catholiques, la différentiation avec la religion juive, d’expliquer les différents courants de l’islam, ou encore des grand et petit véhicule du bouddhisme ? Mais à l’évidence, l’athéisme se doit aussi d’être expliqué. Continuer à être frileux sur ce sujet de la compréhension culturelle et cultuelle serait servir la pensée toute faite des populismes qui s’en repaissent. Il y a mission de service public à maitriser les conditions de ces explications de formes d’organisations et pensées relevant de la sphère privée qui pourtant façonnent la sphère publique dès lors qu’elles servent ou justifient des communautarismes et assument des options idéologiques dans l’espace public.

Interroger le rôle de la presse et des médias est aussi un devoir de conscience publique. Le conseil national de la Résistance en avait fait un des axes de son programme. Force est de constater qu’aujourd’hui le travail est à reprendre pour que le formatage et les pouvoirs par l’argent ne remplacent pas l’intelligence dans des « espaces de cerveau ».

Faire éducation pour l’émancipation

Revendiquer des moyens pour l’éducation scolaire, mais aussi périscolaire et au-delà tout au long de la vie, est certes assez légitime. Mais encore faut-il le faire en référence à la nécessité de « travailler autrement » la question éducative. Faute de quoi une revendication syndicale de ce type serait de pure récupération de l’assassinat politique de Charlie Hebdo. Vivre ensemble c’est donner des clés de compréhension, pas gommer les différences. Ce n’est pas intégrer dans une République qui assimile, c’est partager des valeurs communes d’émancipation des dogmes de tous ordres pour faire humanité. De fait, en tant qu’éducateurs à côté de l’Ecole, il y a un énorme travail à reprendre pour mettre en relation le monde scolaire et celui du périscolaire, pour travailler la relation délicate aux parents et familles, surtout si elles sont déstructurées par l’exclusion et la misère économique ou culturelle. Construire une république laïque parce qu’éducative est un levier utile. C’est ce qu’il faut à nos yeux porter, puis en déduire les moyens nécessaires.

Il faut enseigner autrement et travailler autrement à l’Ecole et hors l’Ecole. Les temps éducatifs complémentaires sont à mieux appréhender. La réforme des rythmes scolaires est de ce point de vue entièrement à reprendre car elle ne garantit aucune qualité d’encadrement, ni suffisamment de laïcité sur tout le territoire et d’égalité d’accès. Enfin, pour être autre chose qu’un empilement d’horaires tout doit être revu pour assurer des concertations locales via des conseils d’Ecole ne s’exposant pas aux municipalisations rampantes.

Associer le monde du sport est aussi un levier si on reste bien dans une logique d’éducation physique et sportive du sport pour tous prolongeant celle véhiculée par les valeurs de l’Ecole.

Investir dans une autre politique de la Ville est enfin une urgence. Les crédits d’Etat qui lui sont consacrés représentent moins de 1% des dépenses alors que les zones urbaines dites sensibles regroupent de 5 à 10% de la population selon les critères retenus.

Ce sont les solidarités nationales et internationales et la généralisation de services publics collectifs qui fondent du vivre ensemble. Mais cela suppose une autre répartition des richesses, la rupture avec les conceptions obsédées par la productivisme et les profits qui l’accompagnent qui détruisent l’humanité comme la planète. Les services publics sont la seule richesse de ceux qui n’ont rien. Ils restent à construire pour le monde et à préserver ou refaire en Europe. Ce n’est pas là du dogmatisme mais le rappel que l’éducation – qui n’est pas seulement celle du temps scolaire – est un investissement à perfectionner pour être mise au service de la conscience critique, pas seulement pour dispenser des disciplines scolaires.

Le ministère « jeunesse et sports » entend lancer une campagne d’échanges sur le territoire. Il veut accroître le nombre de services civiques. Pourquoi pas. Mais ce n’est pas à la hauteur du chantier à ouvrir. Interroger les rythmes éducatifs de l’enfant, leur donner de la cohérence et vivifier les réseaux d’éducation populaire et les acteurs du sport autour de principes laïques, au service d’une mission éducative apparaît une toute autre urgence. Pour cela, la formation et la mobilisation des personnels est un préalable. Le contenu des formations et des diplômes doit aussi faire l’objet d’un examen pour réaffirmer les principes de ce qui fait une république laïque contre toutes les discriminations au travers des pratiques sportives, culturelles…

La DJEPVA se devrait d’être à l’initiative d’assises locales et nationales mobilisant les compétences de ses personnels dans un premier temps et des acteurs de l’éducation populaire, de la culture et du sport dans un autre temps pour poser les termes d’une grande politique nationale ambitieuse et co construite. Nous discuterons des moyens alors, avec des paradigmes revus et une autre manière de faire de la politique, du syndicalisme et de l’éducation.