Traverses Unitaire n°86 : Dossier Spécial élections professionnelles 2014

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Editorial

L’austérité : entre impasse républicaine et ferment du populisme

Les métiers du sport et de l’animation, quand ils ne se pratiquent pas derrière un bureau, sont directement immergés dans la société dite civile. On peut y mesurer chaque jour les dégradations en cours des conditions de vie des plus modestes d’entre nous, la lente propagation des nouvelles formes de pauvreté. Les services publics de proximité, les politiques sociales des communes et conseils généraux sont essentielles pour exprimer la solidarité immédiate des collectivités. Mais les choix austéritaires en cours ne peuvent que contribuer à dégrader fortement la mise en œuvre de ces solidarités.

Le budget de l’Etat 2015 va venir en débat dans les semaines à venir. Il est marqué par les 50 milliards d’économies à faire d’ici 2017 pour que les ménages (via l’impôt direct et surtout la TVA) et les coupes dans la sécu et les finances publiques, alimentent le « pacte de responsabilité » promis au patronat. Ce gouvernement suit la même politique que celui d’avant le printemps 2012. Il est inspiré des mêmes principes qui font le pari du dumping social à terme pour relancer une compétition financière et économique mortifère pour les populations. Les pays du sud de l’Europe le constatent aujourd’hui : la crise financière a détruit la quasi-totalité des services publics et les moyens de la solidarité nationale. Tout est privatisé, les salaires au plus bas, la protection sociale condamnée. Le prix à payer pour la « relance » c’est la nouvelle pauvreté, les retraites de misère.

Ces derniers jours, en fin de troisième trimestre, l’Etat a rendu publique sa dotation aux départements et régions pour l’année 2014 ! Elle est en réduction très importante. C’est la première fois depuis la réforme voulue sous le régime Sarko/Fillon. Ce sont des millions par départements qui manquent à l’appel dans les budgets des collectivités, des milliards quand on fait l’addition. Il faut bien financer le pacte de responsabilité. Des départements annoncent déjà la banqueroute. Tous doivent s’endetter alors que la volonté affichée est de lutter contre les déficits publics. Tous annoncent des suppressions d’emplois à court terme alors que le chômage augmente. Alors que l’Etat annonce des transferts de compétences aux régions et intercommunalités, ces dernières voient leurs dotations baisser, et aucune réforme fiscale à l’horizon. C’est catastrophique de dogmatisme et l’alternance annonce qu’elle fera pire !

Ce gouvernement, ce régime, a une responsabilité première dans la montée gravissime de l’extrême droite qui, trompant le gogo, avec rouerie, soutient des luttes syndicales, affiche de fausses solidarités avec le monde du travail. Les repères sont désespérants et le syndicalisme que nous incarnons ne trouve, pour l’heure, aucun débouché politique à ses revendications. Savoir le reconnaître n’est pas capituler, bien au contraire : c’est savoir être lucide sur le fait que le régime actuel, s’il n’infléchit pas sa politique, fait plus que se condamner lui-même. Il fait plonger toutes les forces sociales de progrès dans notre pays, y compris le syndicalisme indépendant des partis.

EPA, avec la FSU, va bientôt rencontrer le nouveau ministre de la ville et de la jeunesse et des sports (un de plus !). Nous lui dirons l’impasse ressentie. Et nous lui parlerons aussi des mauvais signaux donnés par la disparition programmée des politiques publiques dans son domaine de nouvelle responsabilité. Cet abandon est visible depuis le sombre passage de Valérie Fourneyron. Il est entretenu par Marisol Touraine et une administration aux ordres du « travail et de la santé » qui ne comprend rien aux politiques éducatives par le sport, qui ne considère pas grand-chose de l’éducation populaire. Si le nouveau ministre veut donner un signal fort qu’une inflexion est possible il aurait un acte à faire, un choix à porter dans le gouvernement. Et ça ne coûterait rien. C’est de détacher jeunesse et sports des ministères sociaux, restructurer les services éducatifs de son ministère en leur faisant quitter les DDCS/PP pour constituer des unités territoriales des directions régionales. La fenêtre de tir est réduite. Nous sommes à mi-mandat du quinquennat, à l’aube d’une réforme territoriale qui se fera avec le pouvoir en place ou son successeur. Le ministre de la réforme et celui de la sphère fonction publique le proclament : ils font l’inventaire de ce qui doit relever de prérogatives publiques et de ce qui peut être concédé à des « partenariats ou opérateurs ». Le combat que nous menons en intersyndicale depuis des mois va bientôt être soumis à l’épreuve des faits : soit nous gagnons une refondation, soit nous perdons et disparaissons dans une administration repliée en bureaux de préfectures sur du régalien. Le sport sera voué au CNOS, l’éducation populaire au lobby associatif. Les CREPS disparaîtront au gré des volontés régionales, asservis aux seules logiques de la formation professionnelle et des CFA.

Défaitisme tout ça ? Que nenni. Savoir, pouvoir analyser et anticiper, est une clé essentielle pour se battre et tenter d’agir sur des choix, les infléchir dans un rapport de forces qui suppose des alliances. C’est ce à quoi nous travaillons, bien au-delà des concurrences syndicales attisées de temps à autres par des élections où les écuries font les comptes de leur fonds de commerce.

Didier Hude