Circulaire en été, CAP 22 en hiver = Ministère « ventre en l’air »

Le sommet dans l’art de dissimuler, faire et défaire

Fin juin, les « sages » composant le comité Action Publique 2022 (hauts fonctionnaires, société civile et monde de l’entreprise dévoués aux privatisations) ont rendu publiques leurs analyses assorties de 22 propositions. Le verdict, qui répond aux attentes du gouvernement et de l’Élysée, est limpide : promouvoir un « changement radical » pour instaurer un service public produit en collaboration avec le secteur privé (externalisations massives) afin de réaliser des milliards d’économies. La quasi-totalité des politiques a ainsi été passée au crible des refontes à opérer et des emplois à supprimer. Le principe d’un renforcement des pouvoirs des « managers » publics (sic) est affiché sur des doctrines décalquées du monde de l’entreprise.

Le 10 juillet, le dernier séminaire sur la gouvernance du sport au-delà de l’horizon des JO 2024 confirmait le principe porté par l’Élysée d’un GIP national (30% de membres de l’Etat, 30% des collectivités territoriales, 30% du mouvement sportif, 10% du monde de l’entreprise) pour gérer l’essentiel de la politique publique sportive (performance et accès aux pratiques). Derrière un vocabulaire positivant c’est la fin du ministère des sports qui est programmée.

Le 24 juillet, la circulaire n°6029/SG du Premier Ministre aux préfets de région, et pour information aux préfets de département, reprenait largement les propositions du comité Action Publique 2022 en matière d’organisation territoriale des services de l’Etat. On y recommande la fusion de services, à revoir et à fusionner au cas par cas. La logique est celle de la scie/circulaire.

La méthode de destruction des services publics est rodée : long silence de l’administration, rumeurs puis irruption soudaine de textes ayant l’effet d’un couperet. Les intentions du gouvernement sont connues sans être connues. C’est tout le double jeu, la sournoiserie du plus haut niveau de l’administration qui transparaissent dans la circulaire n°6029/SG qui mélange les recommandations claires et la langue de bois. Cette prouesse dans l’art d’enfumer vise à tenter de rassurer les plus serviles, les « modernes » de l’accompagnement syndical pour disperser les oppositions. Il y a là une stratégie violente, guerrière : jouer sur tous les fronts pour anéantir l’ennemi d’opposition syndicale et politique.

Ce que nous proposons c’est de lire les lignes et entre les lignes de ce front désormais ouvert pour parachever la RGPP, puisqu’il s’agit d’effacer les ruines sans rien construire. Les services ne seront plus exsangues, ils seront rayés de la carte.

Que disent les textes ? Tout doit disparaître à JS !


Le rapport AP 2022 est précis. Dans la proposition 18 (page 96, intitulée « supprimer les doublons ») on peut lire : « dans le secteur de la jeunesse et de la vie associative, les régions interviennent sur la politique jeunesse aux côtés de l’Etat. La question du partage de la compétence sur cette politique reste posée ».

Ce même rapport AP 2022 est encore plus précis sur le sport (page 35) : « dans le domaine des sports, nous proposons de créer une Agence nationale du sport, établissement public cogéré avec le mouvement sportif, en charge du sport de haut niveau et de la préparation sportive pour les grandes compétitions. Le soutien au mouvement sportif serait redéfini à travers la remise en cause du soutien financier aux fédérations les mieux dotées, la mise en extinction progressive du corps des conseillers techniques sportifs (CTS) et l’attribution d’une subvention aux fédérations les moins dotées pour le recrutement de leurs cadres techniques. La création d’une telle agence pourra d’ailleurs conduire à s’interroger sur l’opportunité du maintien d’un ministère de plein exercice ».

Décryptage JEPVA : En filigrane, la question du transfert de compétence de l’éducation populaire (résumée à la vie associative) aux régions est distinctement évoquée. Et en matière de « jeunesse » il ne s’agit plus seulement d’une position de « chef de file » donnée aux régions mais d’un abandon de compétence de l’Etat qui pourrait conduire très directement à un repli de mission sur le régalien et le contrôle au sein d’un service préfectoral réunissant des CEPJ contrôleurs et l’inspection.

Décryptage Sport : le comité de pilotage de la gouvernance du sport colle parfaitement aux attentes des « sages » d’AP 2022 qui préconise un GIP national reprenant les attributions du CNDS condamné à disparaître. Les CREPS seraient maintenus avec de nouvelles formes de gouvernance ouvertes aux régions et au monde économique. Ils seraient recentrés sur le haut niveau, en tant que têtes de réseaux. Rien n’est dit des CAS, et pour cause, ils sont en voie de disparition comme les corps de l’inspection et les CEPJ. À l’identique des CEPJ leurs missions seront exposées au devenir de leur ministère disparu avec un recentrage accru sur le contrôle administratif. Le GIP national sera appelé à être décliné au niveau régional. La montée en puissance du CNOSF devrait trouver son pendant avec celle des CROS.

Nous ne sommes pas dans la fiction mais dans une réalité voulue par le plus haut niveau de l’Etat. Il s’impose à nos ministères dans une mise en œuvre qui reste à programmer dans une fenêtre de tir allant de l’automne 2018 au premier semestre 2022. Les CAS/CEPJ/Inspecteurs se savaient ciblés, les CTS croyaient être sauvés. Ces derniers se retrouvent exposés à la privatisation progressive voulue au nom de l’autonomie du mouvement sportif.

Analyse de la scie/circulaire n°6029/SG du24/07/18 :
comment effacer les ruines sans rien reconstruire

Derrière un vocabulaire captieux, qui ne convaincra que les partisans du chamboule-tout, les préfets sont conviés à prendre l’attache des chefs de services déconcentrés et « acteurs » pour envisager, région par région, les fusions possibles. L’idée maîtresse : resserrer pour diminuer l’emploi et les coûts globaux. Les retours des préfets de région sont attendus pour la deuxième quinzaine d’octobre, délai particulièrement réduit qui prête à croire que les choses sont déjà pensées en amont de l’emballage final. Trois mois pour décider de la réorganisation des services : quelle gageure !

  • Le renforcement de l’échelon départemental est une duperie

Renforcer l’échelon départemental est affirmé mais la méthode est celle de la purge ! De fait, il s’agit d’entailler partout ! Les constructions argumentaires évoquent les doublons entre les services de l’Etat et ceux des collectivités locales, la dématérialisation des démarches administratives et des services. On retrouve dans l’écrit du Premier Ministre le recueil de psaumes et antiennes d’AP 2022 prônant le changement de paradigme au service du changement radical enrobé de concepts positifs mais trompeurs à grand renfort de « cohérence », de « mutualisation »… La reconnaissance des tensions liées à la réduction des effectifs de la RGPP/MAP sert à entériner le retrécissement des missions. La méthode est rodée. Réduire les effectifs, rationaliser les moyens, transférer à des opérateurs privés ira de concert avec la dématérialisation qui ponctuera ce retrait global d’une touche de déshumanisation rampante.

Cette départementalisation « doit être clairement réaffirmée par l’affectation des ressources à cet échelon par les responsables de budgets opérationnels de programme ». Le transfert des effectifs des Directions Régionales vers les DDI signera dramatiquement la fin du peu qu’il reste des missions éducatives. La moulinette contre l’exception éducative JS est redoutable .

  • Jeunesse, sport, vie associative, éducation populaire  : vers une évolution
    du réseau des DRDJSCS et des DDCS

Trois pages sont consacrées aux missions à conserver, celles à supprimer et celles à transférer. Appelons un chat un chat  : les missions du champ Jeunesse, Sports et Vie associative ne figurent pas dans le champ des missions à réaffirmer. Elles sont à « alléger » tout en constatant que « l’Etat demeure compétent en matière d’inspection et de contrôle » pour la jeunesse et la vie associative et « sur la haute performance » pour le sport. Le « sport pour tous » est plutôt l’affaire des collectivités territoriales. L’apparent mépris des missions locales d’accompagnement des associations et de la jeunesse est à mettre en relation avec AP 2022 qui entend transférer une large part de compétences d’Etat aux collectivités et aux régions en particulier. Le couperet est cohérent.

Il est indiqué que l’avis des ministres et des préfets est sollicité sur certains cas pas encore arbitrés par le gouvernement, dont celui des DRDJSCS et des DDCS. « Les conséquences de l’ensemble de ces évolutions… doivent être analysées, tant au niveau départemental qu’au niveau régional, notamment quant à l’évolution du réseau des DDCS et des DRDJSCS. ». Peut-on rêver d’une exception JS tirant son épingle du jeu du reformatage généralisé ? La réponse est là : « Chaque ministre devra documenter les conséquences de ces évolutions sur le fonctionnement et l’organisation des administrations centrales et régionales ». Aïe ! La gouvernance du sport et AP 2022 préemptent tout le scenario : transfert du CNDS au GIP national, déclinaison régionale du GIP, révision du positionnement des CREPS, transfert de missions… Fermez le ban.

Il faut voir dans la précaution épistolaire de la circulaire le résultat des interpellations intersyndicales nationales FSU/UNSA/CGT. Positivons ! Et mettons-nous au défi de tenir au plan local les positionnements syndicaux nationaux.

  • Le sort des DDI sur la sellette

« Des fusions ou des rapprochements de DDI » entre elles « ou avec des services de préfecture autour de thématiques spécifiques pourront être envisagée ». Nous y voici ! Le scénario prévisible de nouvelles fusions (pouvant aller jusqu’à ne prévoir qu’une DDI pour plusieurs départements) se vérifie. Plus largement il se dessine une forme d’interdépartementalité à partir des DDI, sans citer à aucun moment les Directions régionales. Aspiration des DR par les DDI ? Quelles « compétences spécifiques » dispersées actuellement justifient la réorganisation en services interdépartementaux ? Tout reste flou, laissé à l’appréciation des préfets. On retrouve le littéral du rapport AP 2022.

D’ailleurs toute la fin de la circulaire reprend les libellés d’AP 2022 sur la rationalisation des coûts d’implantation immobilière avec une nouveauté cinglante : « lorsque les conditions sont réunies, d’expérimenter la gestion des moyens de fonctionnement par un secrétariat général commun étendu aux services territoriaux des finances publiques et des services administratifs de l’Education Nationale. ». Le bastion du ministère de l’éducation nationale est ciblé sans frilosité. Les maisons de services aux publics sont réactivées. Le recours aux externalisations est réaffirmé.

  • Formation, reclassement, mobilité, aide au départ vers le secteur privé

Si on l’avait oublié, la circulaire le rappelle. La nouvelle organisation territoriale poursuit son obsession : la diminution du nombre de fonctionnaires qu’il faut a-c-c-o-m-p-a-g-n-e-r dans le départ. « Un mécanisme d’intéressement aux économies réalisées sera également instauré ». Sont-ce de nouvelles primes à l’abattage des services pour les directeurs ? Une extension du RIFSEEP ?

Cerise sur le gâteau avec la plus belle touche de nov’langue décalée : « une task force de corps d’inspection » au service des préfets de région pour les aider, si ils le souhaitent, à faire des propositions de réorganisation territoriale. Rappelons ici que l’utilisation de ce concept de task force renvoie à une force opérationnelle, une forme d’organisation temporaire créée pour exécuter une tâche ou activité donnée. Initialement créée dans la marine de guerre des États-Unis. Nous sommes donc bien dans une guerre. Celle qui vise le service public. Une guerre de bientôt trente ans. La République se porte-t-elle mieux ? Nos vies sont-elles meilleures ?

Une nécessité : maintenir l’intersyndicale !

Pour EPA-FSU les choses sont claires. Malgré la campagne électorale en cours (élections Fonction publique du 6 décembre 2018), il nous faut faire vivre l’intersyndicale EPA-FSU, SNEP-FSU, SNAPS-UNSA, SEP-UNSA, A&I-UNSA, SNPJS-CGT. Et si les conditions le permettent l’étendre au SEJS-UNSA et au SGEN-CFDT bien que ce dernier soit souvent peu critique avec les orientations gouvernementales. Et si FO le souhaite pourquoi ne pas élargir l’arc intersyndical ?

Mais surtout, région par région, établissement par établissement, il nous faut mobiliser dans l’unité les collègues administratifs, non titulaires, les ITRF, les PTP et corps de l’inspection. Recherchons ensemble des formes de luttes nouvelles car le spectre de la disparition est bel et bien en train de se préciser. La peur ne sert à rien, la passivité est coupable.

Les divisions syndicales sont à dépasser et l’éclatement syndical aussi car il est infantile de croire un seul instant qu’un nouveau syndicalisme autoproclamé festif serait à lui seul un recours contre la destruction voulue par le gouvernement et ses alliés associatifs et patronaux.

EPA-FSU, dans les consultations et concertations qui commencent déjà dans les services défendra globalement les positions suivantes soumises au débat des personnels :

  • Sortir tous les personnels JS des DDCS/PP et les affecter au niveau régional .
    Constituer des DRJS(CS) dotées d’unités territoriales clairement identifiées comme relevant de l’action éducative.
  • Au plan national agir pour que les domaines sport et jeunesse (le ministère des Sports apparaît désormais condamné en tant que ministère de plein exercice) soient rattachés dans un grand ministère en charge de l’action éducative de l’Etat.
  • Sortir de la DRH des ministères sociaux qui lamine les corps et les missions JS quoiqu’ils en prétendent fallacieusement : la mise en œuvre défaillante du PPCR l’illustre. Une DRH compétente dans la gestion des corps enseignants est la seule issue cohérente.
  • Constituer, toujours en cohérence avec ces mandats, un corps unifié CTPS Sport/JEP doté de domaines identifiés de compétences éducatives, complémentaire à un corps de l’inspection positionné à l’instar des corps équivalents du MEN.

Reconstruire un service public de la jeunesse, des sports, de la vie associative, et de l’éducation populaire ne passe pas par son démantèlement via un GIP ou son transfert larvé aux collectivités territoriales. Ce gouvernement et l’Elysée n’ont même pas de légitimité de programme de campagne sur ce qu’ils sont en train d’opérer en utilisant faussement l’attribution des JO 2024 !!