Aux jeux, comme au cirque, l’essentiel est de participer !

Cet article est une résolution adoptée à l’unanimité du congrès EPA-FSU de Noirmoutier, le 2 juillet 2015. Il est à retrouver dans notre dernière publication : Traverses Unitaires N°89

Sauver « Jeunesse et Sports »

La réforme territoriale en cours procure une occasion supplémentaire de remanier la structuration des services de l’Etat dans le champ de la Jeunesse et des Sports. Les premières indications fournies aux syndicats fin juin, témoignent d’un racornissement supplémentaire, mettant toujours plus en péril la mission éducative des activités physiques et sportives et de l’éducation populaire. Le lobby des préfets et leur conception administrative d’assimilation condamnent à une disparition programmée la spécificité des métiers techniques et pédagogiques constitutifs du ministère. Dans leur sillage, ce qui reste de la filière administrative originaire de l’éducation nationale est condamné aussi. Au demeurant, les restructurations de services vont encore et toujours déboucher sur de nouvelles réductions d’échelle et c’est plus globalement l’emploi qui va diminuer.

Une réforme territoriale made in doxa technocrate et ajustement européen

La volonté largement médiatisée de la réduction de la dette publique participe largement des motivations des gouvernements qui se succèdent. Il y a une grande porosité entre les think tanks de la droite parlementaire et ceux du gouvernement actuel. L’objectif d’économies consistant à diminuer l’emploi public est pleinement assumé dans la sphère de Matignon superposée à celle de l’Elysée. Officiellement, diminuer le nombre de régions devrait générer des économies. C’est là une affirmation rapide. Il s’agit surtout d’ajuster les économies régionales au nom de la compétitivité, des gains de productivité, et de produit intérieur brut, dans une mise en concurrence.
L’obsession de mettre fin au millefeuille administratif et aux doublons est également largement mise en avant. Ce prétexte veut ainsi traiter la question des « compétences » partagées entre L’Etat et les collectivités territoriales actuelles et à venir. L’objectif est de diminuer le nombre de communes en France par regroupement et recours à l’intercommunalité, par modification de la place et du rôle des départements et émergence des métropoles. La réforme territoriale est aussi celle de l’Etat en ce qu’elle redistribue les compétences de la puissance publique dans de nouveaux rapports de forces où l’Europe économique et politique décide de directives, les Etats en définissent le cadre légal d’adaptation aux territoires et les régions mettent en œuvre en fonction de leurs ressources et potentialités.
Ce qui n’est pas dit clairement, qui est cependant lisible pour tout esprit éclairé, c’est que le substrat des réformes actuelles, avoué ou non, rejoint l’ajustement à la feuille de route de l’union européenne construite sur la mise en concurrence économique des régions, l’émergence de pôles de compétitivité et la mise en adéquation de l’appareil administratif et de la puissance publique au service de de la Finance.
En vision libérale classique l’Etat n’est pas interventionniste : il est stratège. Les régions ont une part d’intervention pour peser sur les politiques d’emploi territorial adaptées au tissu économique et industriel en soutien aux entrepreneurs. Les schémas régionaux concertés avec l’Etat, relèvent de la fonction d’observation et de pilotage prescriptif. Les départements en survie temporaire car ne collant pas assez à une dimension économique pertinente, sont – avec les métropoles – les territoires de déclinaison des politiques publiques accompagnant les acteurs économiques. L’intercommunalité a, quant à elle, la fonction principale du « vivre ensemble ». Son action publique ne doit d’ailleurs pas forcément être organisée par le recrutement de fonctionnaires territoriaux mais par le recours à des prestataires. La part incompressible relevant de la fonction publique de proximité sera mutualisée via l’intercommunalité. Ce dernier aspect n’est pas choquant en soi. Ce qui est plus préoccupant c’est la pérennité, la qualité de l’emploi, sa qualification et son indépendance face aux groupes de pression. Or, ce sont ces principes qui ont été fondateurs du statut particulier des fonctionnaires à tous les niveaux dans une République laïque.
Dans un tel schéma, l’Etat stratège doit se replier sur un socle minimal d’intervention, limité à aider les opérateurs et à les sélectionner via des appels d’offres ou appels à projets. Cette logique politique colportée des grandes écoles à l’ENA produit le prêt à penser des technocrates valant décideurs politiques, mais encore des préfets et des ministres, constituant l’appareil d’Etat à côté des élus de la République parfois issus du même moule à formater la pâte à cuire de l’action publique.

Le principe d’assimilation appliqué à Jeunesse et Sports

Décidé de manière volontariste en 2007, le schéma actuel de la RGPP/RéATE/MAP, prolongé par la réforme territoriale, vise à adapter la voilure de l’Etat au principe d’auto entrepreneuriat porté par, et principalement issu de, la société civile et des acteurs socio-économiques. Les services de l’Etat doivent donc avoir des compétences ciblées et des corps et métiers calibrés aux nouvelles normes qui remettent en cause l’Etat dit Providence mais avec lui nombre de mécanismes de solidarité sociale ou économique portés par les services publics. Jeunesse et Sports est exposé en plein au dogme dominant la pensée dite moderne.
Ce ministère se caractérise par des compétences partagées entre les acteurs du sport et de l’éducation populaire (mouvements associatifs structurés avec délégations de puissance publique dans le sport via une loi se transformant symboliquement en Code du sport pour signifier la mise en discrétion de l’Etat, associations et fondations ou agences diverses, collectivités…). Ainsi le département ministériel Jeunesse et Sports a lui-même et de tous temps organisé et accompagné la formation des acteurs du sport et leur montée en puissance et professionnalisation. Cette mission a été poussée très loin puisque le mouvement sportif a été doté de centaines de conseillers sportifs d’Etat pour accompagner le développement du sport en France et assurer tout à la fois la mise en sécurité des pratiques par la qualité d’encadrement et les qualifications, mais aussi la relation réactive des services de l’Etat aux enjeux des pratiques sportives pour la formation citoyenne et ce qui aujourd’hui est contenu dans le concept valise de lien social.
L’éducation populaire, de manière moindre et avec un cadre législatif plus ténu, mais avec la démarche technique et pédagogique, a elle aussi bénéficié des mêmes porosités de service public avec des fonctionnaires « enseignants » de l’éducation nationale mis à disposition ou des conseillers formateurs de la jeunesse et des sports impliqués dans la construction partagée de politiques publiques.
Le bien-fondé de ce service public original qui a le tort principal d’être unique en Europe, ce qui l’expose à l’ajustement structurel, serait-il aujourd’hui obsolète ? Si on examine l’état préoccupant d’une République exposée aux communautarismes, à la xénophobie, aux fractures sociales de tous ordres et l’accroissement des inégalités économiques, on voit bien que la cité idéale est loin d’être advenue. La République est manifestement en repli sur sa capacité à intégrer alors que la mobilité mondiale est inexorable et les phénomènes migratoires irréversibles.
D’autres acteurs que les fonctionnaires techniques et pédagogiques Jeunesse et Sports peuvent-ils intervenir et mieux répondre aux enjeux et accompagnements des acteurs de la société civile sans en faire des « opérateurs » instrumentalisés ? Certes, les associations et mouvements peuvent générer leur propre emploi et contractualiser avec l’Etat via des programmes et contrats. Ils peuvent le faire aussi avec des collectivités. Mais la permanence et la nature de l’action de service public ainsi transférée (pour ne pas dire privatisée via le mode associatif) s’expose à ne plus être assurée de manière tangible ni dans le temps, ni sur tous les territoires. Les fractures actuelles liées au manque de moyens et à la destruction massive et programmée d’emplois chez les conseillers d’animation sportive et ceux d’éducation populaire révèlent d’ailleurs le délitement recherché de la « jeunesse et des sports ». Car la rouerie politique classique consiste à affaiblir pour mieux consacrer la disparition sans regrets d’un ministère devenu croupion à intégrer aux affaires sociales pour faire de la réparation sociale, au détriment de l’éducation citoyenne tout au long de la vie. La confusion volontaire entre travail social et éducation a pour conséquence d’instrumenter le sport en le réduisant à la santé d’une part ou à la performance tricolore de l’autre. Or, le ministère jeunesse et sports servait à sa création une toute autre ambition. Par son inscription dans l’éducation permanente, via les pratiques sportives et culturelles, le travail sur la compréhension de la société et la construction des connaissances, il participait des enjeux d’émancipation individuelle et collective. Cela suppose une autre posture, une autre déontologie que celle inspirée par des déclinaisons de programmes confondus avec des missions. Il n’y a pas nécessairement opposition de la jeunesse et des sports face au travail social mais il faut en distinguer les finalités beaucoup plus liées aux problématiques éducatives et culturelles.

Les DDCS/PP sont des antichambres de bureau de préfecture

Quand les directions départementales interministérielles ont été créées, elles avaient vocation à faire disparaître les services spécifiques de l’Etat au niveau départemental en les rassemblant en interministériel dans les mains du préfet, donc du ministre de l’intérieur au et du premier ministre, compétents naturellement et constitutionnellement pour faire autorité interministérielle. Les DDT/M (ex ministère de l’équipement principalement) ont été constituées pour organiser la partition et le transfert par étapes aux collectivités territoriales. Le travail est en cours, les effectifs ont chuté de 50 à 65% en 5 ans ! Toutes les DDI sont appelées à finir en bureau de préfecture. Ne pas vouloir regarder cette issue est soit de la naïveté, soit de la complicité de vue politique, donc de l’accompagnement qui s’invente un point aveugle de circonstance. Dans les 5 à 10 ans qui viennent, ce sera chose faite. La transformation d’emplois de CEPJ en attachés ou inspecteurs, la destruction d’emplois de conseillers d’animation sportive et de la filière administrative ne sont pas le fait du hasard.
Les technocrates et ministres de l’actuel gouvernement affirment qu’ils veulent renforcer la présence de l’Etat au plan départemental. C’est faux. Ils savent qu’en « renforçant » les DDCS/PP ils organisent la fusion des services et leur assimilation en préfecture à terme. Ils savent aussi qu’ils font disparaître les métiers de CAS et CEPJ qui se résument à décliner des programmes sous la pression ou à faire du contrôle que les inspecteurs ne font plus. Ce faisant, par cloisonnement départemental voulu et organisé, les cultures professionnelles partagées se délitent et les statuts sont plus faciles à transformer ou faire disparaître. Les transformations ou suppressions d’emplois vacants font le reste. La logique est implacable et les syndicats représentatifs depuis toujours dans le ministère en perçoivent la violence et le cynisme administratif que le politique cautionne.
Quand, le 26 juin, le ministre de ville et de la jeunesse et des sports affirme qu’il va sauver le ministère en refusant de l’intégrer à un pôle ministériel éducatif (ce qui ne veut pas dire rejoindre l’éducation nationale pour nous mais quitter la DRH mortifère des ministères sociaux), quand de sa surface de marocain il caresse l’idée qu’un CAS de région versé en DDI fera toujours son métier sans souffrance, ce n’est pas seulement de la provocation candide, c’est l’affirmation d’une faillite de pensée vouant la jeunesse et les sports à la disparition voulue.
Dans la loi NOTRe à venir, le sport et l’éducation populaire (cette dernière grâce à une action parallèle de la FSU et de l’UNSA, mais aussi de composantes ayant porté en territoires des démarches auprès de parlementaires) sont positionnés comme compétences partagées entre l’Etat, les régions, les départements et le niveau communal. C’était fondamental pour que les départements et régions soient en mesure de soutenir financièrement et politiquement ces domaines d’activité. Mais que va vouloir dire pour l’Etat une compétence partagée avec un ministère se réduisant à une administration centrale et 13 directions régionales au lieu de 22 dans l’hexagone si on y ajoute la Corse. Avec un réseau de CREPS faussement ouverts à l’éducation populaire, en survie avant transfert aux régions qui en maîtriseront l’essentiel des financements et choix stratégiques ?
La compétence partagée risque bien d’être un leurre dramatique autour du repli sur une mission régalienne de contrôle d’activités ciblées exercée dans des préfectures de région, voire de territoires car les départements ne devraient pas tenir longtemps devant l’histoire déterminante des ajustements structurels surtout lorsqu’ils relèvent de directives.
Accepter le scenario du gouvernement n’est possible qu’à la condition d’avoir intégré la stratégie d’un jeu d’échec qui a programmé l’effacement des services déconcentrés JSCS par replis en préfectures, cession totale à court terme des CREPS aux régions, fusion des administrations centrales des ministères sociaux en directions thématiques, privatisation de l’emploi des CTS contre monétisation de la masse salariale aux fédérations et ligues.

Être lucide n’est pas se résigner

Le gouvernement arbitre aujourd’hui en faveur d’orientations contraires à celles portées par l’actuel président de la République lors de sa campagne électorale menée en 2012. Ce faisant, il contribue au discrédit ambiant et au désarroi politique qui alimente les populismes. Il prend surtout à contre-pied ce qui caractérise les démarches d’éducation populaire construites sur l’analyse, la recherche de ce qui produit du sens, le recours à la conscience critique pour rechercher des pistes d’action afin d’agir sur sa vie et son devenir. La méthode et les choix du gouvernement entrent en contradiction totale avec la spécificité éducative des métiers constitutifs du département ministériel Jeunesse et Sports.
Le front commun des principaux syndicats regroupant les personnels techniques et pédagogiques ne relève pas d’un réflexe corporatif. Ce serait non seulement du mépris péjoratif mais surtout une preuve supplémentaire d’erreur de lecture, ou pire de mauvaise foi. C’est parce qu’il y a adhésion massive des personnels à la conception d’un service public et la nécessité d’une mission nationale éducative dans le sport et l’éducation populaire qu’une intersyndicale SNAPS, SEP, SNEP, EPA, SNPJS-CGT s’est structurée. Ce sont ces métiers spécifiques qui donnent du sens et fédèrent parce que nombre de professeurs de sport, conseillers techniques et d’éducation populaire ont choisi ce ministère par engagement fort dans les pratiques de formation, de soutien, de conseil et d’accompagnement. Ce choix détermine et explique un combat qui sera mené à son terme car défendre une conviction chevillée se passe de considérations déplacées sur l’issue dudit combat.
La méthode du gouvernement consiste à dissimuler les arbitrages, évitant les syndicats tout en osant afficher une concertation de façade vide d’informations capitales. Elle n’a pas respecté la représentation des personnels car la discrétion et la précipitation voulues par Matignon ont préempté toute précaution vis-à-vis des interlocuteurs sociaux.
Le conseil des ministres du 29 juillet consacrera vraisemblablement la disparition du ministère. Mais notre détermination ne s’arrêtera pas à la communication d’un conseil des qui sanctionne par ignorance ou faute politique majeure toute l’histoire d’un ministère et de sa fonction dans la société depuis près d’un siècle.

Le très mauvais scénario annoncé

Le credo du gouvernement est de dire qu’on ne doit pas revenir sur les services déconcentrés en transformant les DDCS/PP en unités territoriales des DRJSCS pour ne pas « traumatiser » les personnels déjà bousculés par les DDI il y 5 ans. Mais que fait-il en faisant fusionner les DDCS au sein des DR dans les régions maintenues ou dans les chefs-lieux des nouvelles régions ? Que fait-il en versant dans les DDCS une part des agents des anciennes DRJSCS qui ne seront pas chefs-lieux des nouvelles régions ? Il se prend à son propre piège des discours contradictoires, de sa série de petits mensonges et renoncements qui font qu’une politique tombe par elle-même en discrédit.
L’intégration des DDCS/PP à la DR va de nouveau bousculer les profils d’emploi, exposer les personnels techniques et pédagogiques aux missions de contrôles sous lesquelles les départements croulent, reposer la question du conflit potentiel de compétences sur la dépendance au CHSCT local et national !
L’atomisation des personnels des anciennes DRJSCS en antennes provisoires de DR et DDCS/PP va également produire des dégâts non seulement par la crainte de mobilités fonctionnelles ou géographiques contraintes mais aussi parce que la perte de sens est à son paroxysme. Déjà les zélateurs de la réforme en cours nomment les futures DR recomposées DRDJSCS et les DR actuelles appelées à disparaître DDRJSCS. C’est la mise en coupe réglée sous l’ordre liquidateur de préfecture.
Malgré les travaux avant fermeture, le syndicalisme reste ouvert à la lutte
Le gouvernement a choisi l’affrontement. Ce n’est pas du courage de sa part mais du passage en force et la politique du coup de menton. Le syndicat EPA-FSU prend l’engagement solennel devant tous les personnels des deux versants JS et CS de continuer à agir en intersyndicale constituée sur des bases claires pour refuser que le ministère de l’intérieur devienne celui de plein exercice, en départements et régions, des politiques publiques nationales du sport, de l’éducation populaire et de l’action sociale.
Nous continuerons à agir pour que le ministère « Jeunesse et Sports » quitte la sphère mortifère des ministères sociaux et sa DRH pour rejoindre la sphère éducative sans fusion/absorption à l’Education Nationale. Car nous ne demandons pas l’intégration à l’Education Nationale mais la reconnaissance d’une mission publique nationale éducative tout au long de la vie sur tous les territoires. Et la DRH commune à l’éducation nationale et l’enseignement supérieur est en plus grande capacité de comprendre les métiers d’éducation et de la culture (y compris par le sport) que la DRH travail/santé.
Nous avons défendu le principe d’unités territoriales JSCS pour sortir des DDCS/PP et de la coupe des préfets pour reconstruire le réseau régional JSCS tout en préservant les missions et emplois au niveau départemental. Nous continuerons à défendre les principes de proximités territoriales parce que capituler en DDI c’est mourir. L’approche territoriale signifie aussi que nous n’ignorons rien des mutations administratives en cours qui toujours découpent des territoires de vie. Nous ne sommes pas enfermés dans une logique administrative dogmatique et encore moins assujettis aux diktats strictement financiers sur lesquels disparaissent l’ensemble des services publics sous statut de fonction publique.
Nous avons encore du sens à perdre si nous cédons. Nous n’avons donc pas « rien » à perdre, ce qui pourrait d’ailleurs nous conduire à être encore plus déterminés face à la déprédation de notre service public organisée à grands coups d’oxymores par le gouvernement en ordre de marche. Notre volonté sera donc de mener une campagne publique en nommant et dénonçant tant les mascarades en cours que les faillites qui les justifient. Ceci se fera en toute indépendance politique avec les syndicats qui partageront la nécessité de mener une action en convergences pour contrecarrer des orientations néfastes pour le « vivre ensemble » et les politiques éducatives par le sport.